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jeu avec, pourrait-on dire, l’anxiété de gens qui verraient se tramer devant eux leur propre destinée ? Le résultat de cette lutte, futile à y bien réfléchir, les a touchés comme un bonheur ou une catastrophe personnels ! C’est que, à leurs yeux, l’Université ne représente pas simplement un lieu où l’on vient sacrifier à l’austère acquisition du savoir les plus belles années de la vie. Elle est une personne aussi réelle et aussi tendrement adorée que le membre le plus cher de leur famille. La vieille expression d’ « alma mater » a toujours ici un sens précis et vivant. Etudiants d’aujourd’hui comme d’hier, ils sentent qu’ils sont les fils spirituels d’un même être moral à qui ils doivent le meilleur d’eux-mêmes, et dont ils sont fiers de constituer l’infinie descendance.

Et s’ils sont à ce point solidaires, c’est, à n’en pas douter, parce que, dans une grande Université comme celle-ci, l’esprit social est particulièrement développé, qu’en fait, la vie sociale y tient une place aussi grande que la vie intellectuelle. L’Amérique est, de tous les pays du monde, celui où l’on a su tirer le meilleur parti de l’association. Ce fut probablement une nécessité à l’origine. Les premiers colons, quand ils rompirent le lien qui les unissait à leur pays, comprirent qu’ils ne pouvaient exister qu’en créant et en fortifiant l’attachement à leurs petites communautés, en attendant que renaquit l’idée de patrie qu’ils venaient de détruire. Aujourd’hui, l’habitude est prise et elle est tyrannique. L’Américain sait, de naissance, que pour surmonter les difficultés il n’y a pas de force plus puissante que l’accord des volontés individuelles. Là où en France nous nous en remettrions à l’Etat du soin de nous tirer d’affaire, les Américains préfèrent le groupement des intérêts ou des opinions semblables. Que ce soit pour lancer un produit ou faire triompher une idée, pour défendre la religion ou pour se livrer au plaisir, le seul moyen qui se présente naturellement à leur esprit est une association.

Les Universités sont trop soucieuses d’être de leur pays et de leur temps pour n’avoir pas cherché à satisfaire cet instinct national. Elles considèrent comme une partie essentielle de leur tâche de préparer les jeunes gens au rôle qu’ils devront un jour tenir dans la société, et de les exercer aux devoirs et aux responsabilités de la vie en commun. Et tout ce qui peut donner pratiquement cet apprentissage est encouragé.