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l’on cherchait une orientation, c’est vers la nation auréolée de victoire que se portèrent en foule les jeunes gens qui rêvaient d’une culture moderne. L’engouement pour ce pays, qui a si bien su pratiquer le bluff, a été dans le dernier demi-siècle inimaginable. Tous les ans des centaines de gradués, — l’élite intellectuelle, — passait la mer avec la ferveur qui animait sans doute les voyageurs de la Renaissance, quand ils cherchaient en Italie la révélation des splendeurs du monde latin. Ils allaient s’asseoir aux pieds des maîtres allemands, dont ils peuplaient les laboratoires. Ils croyaient rencontrer la vérité. Leurs esprits, aveuglés par l’enthousiasme, ne découvraient pas ce qui se cachait de fausses prétentions derrière une mise en scène habile. Ils trouvaient une activité indiscutable, des installations ambitieuses et largement dotées, des « séminaires » où ils avaient l’illusion de faire du travail hautement scientifique. Et puis, on les accueillait la main tendue ; on les choyait, on les flattait. Pour eux, on aplanissait toutes les difficultés administratives, on faisait fléchir les règlements. Et on ne les laissait pas partir sans leur donner des diplômes, en apparence chèrement gagnés, en réalité généreusement distribués, à titre de réclame. Quoi d’étonnant si ces jeunes gens, quand ils rentraient dans leur pays, ne voyaient plus le savoir qu’au travers des verres fumés qu’on leur avait persuadé de porter ? Ils chantaient la gloire de l’Allemagne et s’appliquaient à reproduire fidèlement chez eux ces méthodes dont le pédantesque et lourd sérieux les avait impressionnés.

Pourtant ils faisaient violence à leur tempérament propre. Le mouvement qui les portait outre-Rhin les empêchait de subir une autre influence qui, certainement, eût satisfait leurs besoins intellectuels. A mesure que je connais mieux mes étudiants, je sens de plus en plus se former en moi la conviction qu’il existe entre l’esprit américain et l’esprit français des affinités naturelles. En dépit de façons d’être très différentes, il y a certaines manières qui intéressent directement le mécanisme de la pensée où les deux peuples se rejoignent. Ces ressemblances, je les trouve, par exemple, dans ce désir de logique, d’ordre et de clarté qui tourmente les écrivains et les savants américains ; dans la forme de la phrase, directe, vive, reproduisant parfois, à s’y méprendre, la lucidité du style français. Et que les Américains ne soient pas a priori ennemis des généralisations,