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qu’ils arrivent le matin, sous leurs effets de droguet de la Bigorre, sabots aux pieds, besace aux reins, celle-ci est rebondie. On y trouve du boudin et de la saucisse, des débris succulents de pâtés de foie, un morceau de cuisse d’oie ou une tranche de filet de porc, et surtout des « graissillons, » sortes de rillettes, qui font consommer beaucoup de pain et boire sec. Ils emportent un litre de piquepoult par jour. Parfois ils s’accordent une douceur. C’est du raisiné, tiré d’un verre enveloppé de linge fin, confiture faite avec les fruits de leur jardin, cuit dans leur vin, du vin doux, et réduite, réduite, qui est un dessert tonique, et que l’on étend en couche sombre sur sa miche. Ainsi lestés, ils ne s’interrompent que peu. Ils travaillent rudement, au milieu des sifflements des perches qui s’abattent, parlant peu, attentifs, occupés seulement de leur besogne de peur d’accident. Ils ne paraissent ressentir ni fatigue ni ennui. À peine de loin en loin ils jettent un regard sur le soleil qui marque la fuite de la journée. La cadence de leurs coups de hache ne se ralentit point. Où que l’on erre aux environs, pour peu que le vent porte, on les entend marteler les échos, plus rares et moins sonores à mesure que la coupe s’élargit. Cette absence d’échos est le propre des terres nues. Sans y aller, on peut suivre de l’oreille le progrès du travail. Ce rude labeur aura pourtant une fin. Un soir, en rentrant, ils diront chez eux : « À demain « lou floc, » le bouquet. » Ils ont l’habitude ici, le chantier terminé, d’attacher un bouquet à la pointe du dernier baliveau, comme les charpentiers couronnent de fleurs le faîte de la toiture achevée. Le mot signifie aussi réjouissance au bois pour tous, demain. Leurs femmes et leurs enfants le gagnent avec eux. Ils y vont assister aux dernières façons, y voir monter le floc, et partager à midi le repas de ces hommes, leurs maris, leurs pères, de qui vient le pain quotidien. Cette fois, les femmes font la cuisine. Chacune apporte son plat. C’est un pique-nique en famille. L’enclos s’emplit de flammes ardentes, comme celles qui chauffent les cercles, et l’on entend se griller, crever et fumer les viandes et pétiller le bois. On entend surtout sauter les crêpes, l’entremets traditionnel. Des crêpes rondes et lourdes comme des disques, parfumées à la fleur d’oranger. On les arrose de café corsé « d’un doigt » d’Armagnac. Et la joie du moment, du repas pris en commun, du chantier mené à bien éclate sur toutes les faces. Et comme ici la race est musicienne, éprise de