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nous dit : « Ma vieille futaie se couronne toute ; il va falloir l’abattre. » Les arbres qui se couronnent sont ceux dont les cimes et les racines sèchent. Tandis que leurs pieds s’ossifient pour ainsi dire, leurs têtes se ceignent d’un bandeau de branches mortes, cercle pâle qui reluit au soleil. Les hêtres séculaires se glaçaient à la fois par la souche et par le faîte. On fit venir des bûcherons de la montagne. Ils arrivèrent, grands, osseux, rasés, voûtés un peu comme ceux qui ont l’habitude de travailler courbés, armés de cognées en forme de coins, d’un fil ardent au possible. Ils portaient un vêtement de rechange, deux paires de sabots, en cas d’en briser accidentellement, d’un choc d’outil, et des couvertures pliées pour jeter sur leur dos les jours de pluie. On leur donnait le vivre et le couvert. J’entendis la chute du premier arbre, le lendemain, à l’aube. Il s’écroula dans un mugissement, en écrasant le sous-bois autour de lui. Et puis je partis en voyage. Au retour, « à la prime, » au printemps, le plateau, les pentes, tout était nu. Les arbres, les troncs, sains encore, chargés un à un sur des essieux découplés, avaient été enlevés pour servir de pilotis, — le hêtre immergé devenant indestructible, — les maitresses-branches pour être débitées en limons, en brancards, en pilons et en jantes. Rien ne vivait plus de ce monde sonore et mouvant ; la source seule ruisselait toujours, ceinte d’une bordure de violettes nouvelles…

Mes souvenirs m’entraînent… Avant de commencer la coupe d’un taillis, on nettoie le terrain au croissant. Mille parasites l’encombrent, ronces, thuie, genêts et houx, brins de toute essence, inutilisables pour quoi que ce soit. On prend cette mesure par raison d’évaluation d’abord, de célérité dans le travail ensuite. On estime mal les perches masquées par ces broutilles ou mêlées à elles ; on perd du temps à les couper à la fois au fur et à mesure qu’on les atteint, à lâcher la hache pour saisir le croissant, ou inversement, en cessant d’abattre afin de nettoyer, au lieu de continuer sans arrêt une même besogne. Le sol propre, on désigne et on marque les baliveaux : un par are, ou deux, s’il se peut. Ce sont les sujets de la futaie future, comme une sorte de pépinière en place, assolée dès le premier bourgeon. On les choisit en conséquence : francs de pied, seuls sur leur racine, droits, élancés, d’un jet, de peau fine, lisse et pure, graduellement effilés. On conserve d’abord les chênes et