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gements je ne sais quelle probité, quelle dignité absente trop souvent de ceux que nous signons.

Ainsi, au cours du temps, se composait le Livre de Raison, manuel agricole, code moral à l’usage des familles, qui marquait les étapes vers le but poursuivi : la pérennité du nom. Longtemps il fut tenu, apportant dans les moments difficiles une solution parfois, un exemple souvent, un réconfort toujours. J’ai lu, j’ai médité ces vieux papiers, j’y ai puisé, j’y puiserai encore, persuadé que tout aux champs vient de loin, est affaire d’expérience et de tradition vivifiées par les conceptions nouvelles, certain que nombre d’us et de coutumes dont nous avons ri étaient l’aboutissement d’observations séculaires, et que la plupart des échecs subis sont dus à l’ignorance ou au mépris des avertissements transmis. Je ne citerai qu’un fait. Nos pères avaient dit que tous les terrains ne portaient pas sûrement le cep, et chacun d’eux chez lui avait désigné ce sol impropre. Nous passâmes outre presque tous. Confiants en des sèves étrangères puisées au torrent américain, alléchés par le rendement des racinés-greffés, des directs, des hybrides, nous avons planté de la vigne partout, hormis sur nos toits. Là même où nos pères avaient élevé des doutes, fait leurs réserves, le travail nous est resté pour compte. Un de mes vieux métayers a l’habitude de répéter : « Il ne faut pas essayer de faire tenir un pailler sur sa pointe : » c’est-à-dire d’élever quoi que ce soit ici-bas sans assises ; quoi que ce soit, surtout une fortune foncière. En ajoutant des feuillets au livre de Jean de Heugarolles, je n’ai d’autre ambition que de poursuivre et de planter un jalon.


I. — COUPE DE TAILLIS
Janvier 1922.

J’ai mis la hache, cet hiver, dans mon taillis du Lémou, d’une contenance de quatre hectares. Je l’exploite tardivement. Ce n’est point un exemple à suivre. Il a vingt-cinq ou vingt-six ans : cinq de trop. Dans nos terres argilo-marneuses ou siliceuses, profondes, grasses et chaudes, baignées en sous-sol de nappes et de bassins alimentés par les sources ou les pluies, le bois monte vite, et les coupes sont mûres à l’ordinaire au