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risquée aux quatre bouts de l’Europe, il ne gardait qu’une maigre pension, sa croix, et un harnois de combat composé de toute sorte de buffleteries et d’armes. Il faisait deux parts de sa pension. Il donnait l’une, la plus importante, à son aîné, en compensation du lit, du couvert, du feu et de la chandelle, balance au reste toute à son profit, et il gardait l’autre pour se vêtir et pour bourrer sa pipe.

Comme il avait partagé sa pension, il partagea son existence. Il s’adonna à la chasse et à l’agriculture. Peu à peu, avec le besoin de commander dont il ne pouvait se départir, pris à manier la troupe, il se substitua à son frère dans la conduite des équipes, l’agencement et la surveillance des travaux, l’emploi des gens et des bêtes, s’effaçant toutefois devant le chef de la maison lorsque celui-ci agissait en maître : dans la direction générale du bien, les débats d’affaires au cours des foires, les ventes à domicile, le règlement des salaires. Même, les jours de presse, il se plaisait à mettre la main à l’outil. Et, d’avoir traversé tant de pays, abordé tant de peuples jaloux ou hostiles, erré de nations en nations sans jamais se fixer ni s’attacher, il portait au coin de terre où il était né, où il mourrait, où tous les siens se succédaient, un amour passionné comme pour une créature. À l’époque des grands travaux, quand les heures sont trop courtes pour vaquer aux soins du domaine, il ne s’accordait ni retard, ni repos, il ne se délassait seulement qu’un moment le soir avec son violon, que l’on entendait frémir dans l’ombre… Et cependant, l’autre goût, celui de la chasse, le tenait aussi fortement. Les grains semés, la vigne taillée, la fenaison ou la moisson faite, la vendange coulée, il empoignait son fusil, sifflait ses chiens et battait le pays. Il possédait des chiens bleus de Gascogne, renommés pour leur gorge sonore, qui réjouissaient son oreille de leur musique ardente. Il forçait le sanglier, le renard et le lièvre ; il traquait les blaireaux en maraude, au clair de lune ; et lorsque des froids inusités faisaient remonter chez nous les loups de la Bigorre, il les attaquait à grand aboi. Il dédaignait un peu la plume. La bécasse seule l’intéressait : elle exige un coup d’œil sûr et prompt. En mars toutefois, à l’époque où les palombes reviennent d’Afrique, annonçant l’afflux des sèves, il les capturait, au filet. Bon ou mauvais temps n’existait point pour lui. La neige, le vent, la pluie étaient ses vieilles