Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la foi des simples. Je ne suis pas un philosophe, je suis un historien. Je ne cherche pas à approfondir la métaphysique du christianisme, elle me dépasse. Je prends l’Eglise comme un fait qui s’impose à mon attention et que je ne saurais ni éliminer, ni éluder. D’autre part, si j’essaie d’expliquer par des raisons humaines l’existence de ce fait et ses conséquences de toute sorte sur la marche de l’histoire, j’y échoue invinciblement. Les raisons humaines sont hors de toute proportion avec l’établissement de la religion chrétienne dans le monde et sa propagation par l’Eglise. Donc... [1]. »

L’évêque d’Autun affirme encore que l’historien se faisait lire chaque dimanche les prières de la messe et que la messe elle-même, sur autorisation spéciale de Mgr Sibour, fut plusieurs fois célébrée dans sa chambre par le père Gratry. « Je n’oublierai jamais de quelle façon il se disposait à entendre cette lecture. Il se faisait habiller comme s’il avait dû aller en ville. Il avait même soin, en signe de respect, d’avoir les mains gantées. Je lisais lentement, dans la langue même de l’Eglise, les prières liturgiques. Elles arrachaient parfois à mon auditeur, et comme malgré lui, des cris d’admiration : « Que c’est beau ! disait-il à demi-voix. Que c’est grand ! Que c’est profond ! » Puis quand je m’étais acquitté de mon office, il m’exprimait sa reconnaissance dans les termes les plus émus et les plus délicats [2]. »

On doit accepter pour vraies de si hautes et solennelles attestations, appuyées de détails précis et qui correspondent si complètement à ce que nous connaissons, par ses lettres, des sentiments profonds d’Augustin Thierry. Il ne suffit pas, pour les infirmer ou les récuser, de ne point trouver mention de ces lectures, ni de ces pieuses cérémonies dans le dépouillement d’un curieux journal où le paralytique relate et dicte lui-même jusqu’aux plus menus incidents de ses journées. Autant qu’on puisse pénétrer dans les secrets replis de sa conscience, il apparaît que Renan commet une évidente méprise, lorsqu’il tente d’expliquer par « le sentiment des convenances » et « l’art de construire une belle vie, » la conclusion logique d’un long débat intérieur dont il ne posséda jamais les éléments entiers.

Comme on l’a vu, Augustin Thierry, pour les droits de la

  1. Mgr Perraud, A propos de la mort et des funérailles de Renan, p. 16.
  2. Mgr Perraud, Ibid., p. 21.