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à l’évolution qui s’accomplit dans l’esthétique musicale, marquée par les premières tentatives wagnériennes. L’une de ses dernières lettres, adressée à la princesse de Sayn-Wittgenstein, la protectrice et l’amie de Liszt, a trait à Lohengrin et à l’innovation des leit-motiv.


« Madame,

« Je vous remercie mille fois de m’avoir transmis des renseignements authentiques sur la réforme essayée par M. Wagner dans le drame musical. Je sais maintenant tout ce qu’on peut en apprendre de loin, c’est-à-dire qu’après avoir suivi cette lecture avec beaucoup d’attention et un vif intérêt, il me reste encore bien des doutes. M. Wagner est certainement un musicien de premier ordre et un poète distingué, à ce qu’il m’a semblé. Les petits fragments de son œuvre, joints à la notice de M. Liszt, suffisent à le prouver. Le motif d’entrée du chevalier et la prière d’Eisa, entremêlée de coups de trompettes lointains qui annoncent le défenseur sont deux morceaux admirables.

« Il y a un accent dramatique vrai dans la défense de Lohengrin et dans la parole du Roi, ordonnant le jugement de Dieu. Enfin les deux motifs d’orchestre, dont l’un exprime la sympathie populaire pour Eisa et l’autre les fureurs d’Ostrude, sont pleins d’expression vraie et forte. Tout cela serait admiré dans un opéra fait selon le modèle ordinaire. Maintenant, cela gagne-t-il quelque chose à se trouver plus ou moins répété comme symbole d’une situation ou d’un caractère ? Voilà la question et pour y répondre, il faudrait être en Allemagne, ou peut-être, comme vous le dites vous-même, madame, être Allemand de naissance et d’esprit.

« Je regrette bien que M. Lizt, que son nom oblige à travailler non pour l’Allemagne seule, mais pour le monde civilisé, ne nous donne pas son opéra de Sardanapale, dont, à ce que j’ai appris, le libretto est excellent. Les découvertes d’antiquités faites à Nimroud et à Khorsabad, font que ce sujet a maintenant un véritable à-propos. Il y a, dans les musées de Paris et de Londres, des inspirations pour un grand musicien qui viendrait aujourd’hui nous peindre la vie assyrienne, dans ses palais dont les portes étaient gardées par des taureaux ailés à face humaine. Si vous pensez comme moi, madame, vous parlerez