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longtemps, résiliera le « très long bail » rendu par elle précaution inutile. Le pic des démolisseurs a passé là et rien ne subsiste aujourd’hui du suprême refuge où l’historien va terminer sa vie, poursuivre ses ultimes travaux, accueillir les fidèles de ses derniers jours.


LES DERNIERS JOURS D’UN GRAND ÉCRIVAIN

Depuis deux ans, dans le pavillon Belgiojoso d’abord, avaient repris les réceptions et les causeries, où se rencontraient avec ses vieux amis, Villemain, Cousin, Mignet, Ary Scheffer, Guigniaut, Henri Martin, de plus jeunes admirateurs de son esprit et de son talent : Renan, Egger, Emile Montégut, Adolphe Chéruel, le marquis de Rosières, Jean et Henri Wallon, Félix Bourquelot, Charles Louandre, Henri Baudrillart, La Villemarqué, de Cherrier, le comte de Circourt, Tiby, etc.. Des visiteuses, et non les moindres, venaient parfois aussi égayer l’aveugle du froufroutement de leur féminité : Mmes de Tracy, de Corcelle, de Rémusat, Adolphe Périer, lady Elgin, lady Holland, la princesse Czartoriska, enfin, qui, élève de Chopin, le ravissait par sa virtuosité de pianiste.

Deux fois la semaine, le mardi et le samedi, dans la soirée de neuf à onze, Augustin Thierry réunissait ses hôtes. C’était, a écrit l’un d’entre eux, M. Henri Wallon, « un moment solennel quand les deux battants de la porte du salon s’ouvraient et qu’on voyait apparaître, dans son fauteuil roulant, le maître du logis paré comme pour une réception officielle. Un silence respectueux s’imposait jusqu’à ce qu’il eût été amené à sa place, auprès de la cheminée. On s’avançait vers lui alors, il nous reconnaissait à la voix, nous tendait la main, et la conversation s’engageait sur les événements et les faits divers de la politique ou de la littérature, entretiens familiers où l’on pouvait goûter toute la vivacité et le charme de son esprit. »

La musique demeurait la distraction favorite de l’infirme ; tous les quinze jours, il organisait des concerts, où Bach, Mozart et Beethoven figuraient le plus souvent au programme, dont les exécutants s’appelaient Prudent, Lacombe, Saint-Saëns, à ses premiers débuts, avec le quatuor célèbre : Chevillard, Maurin, Mas et Sabatier.

Ce goût pour les classiques ne l’empêche pas de s’intéresser