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dénuée de toutes ressources, s’était trouvée dans l’obligation d’aliéner ses propriétés parisiennes.

Une longue et mélancolique correspondance s’engage alors entre elle et Augustin Thierry, Généreusement, la princesse insiste pour que son frère continue d’habiter, jusqu’à la vente, le « pavillon construit pour lui. » Celui-ci refuse par délicatesse, ne voulant pas entraver par sa présence une négociation difficile. « Votre propriété est mise en vente, ma chère sœur, et la déclaration en a été faite chez le notaire. Ainsi meurent avant nous, des choses qui devaient durer autant que la vie [1]. »

Il se résout donc à déménager, malgré le chagrin qui le « déchire » et des inquiétudes « qui lui font perdre la tête, lui enlèvent le repos et le sommeil. »

Après de longues recherches en différents quartiers, « où les jardins disparaissent de plus en plus, » il finit par louer dans son voisinage immédiat, 32, rue du Mont-Parnasse, l’ancien appartement d’Edgar Quinet abandonné par lui depuis la mort de sa femme. « Enfin la Providence est venue à mon aide et j’ai trouvé à ma porte, dans la maison habitée naguère par M. Quinet, ce que je commençais à croire introuvable. J’ai loué dans cette maison le rez-de-chaussée et le premier ensemble, avec un très long bail, car je ne veux plus déménager. Mon loyer est de seize cents francs, ce qui fera dix-huit, à cause des réparations de toute sorte que je prends à ma charge. Ainsi dans trois mois au plus, j’aurai une autre demeure et là, je serai tout auprès de ce que je puis appeler le tombeau de mes rêves. Dans mon nouveau jardin, je respirerai en partie l’air de celui qui, hélas ! ne sera plus le vôtre et je suivrai avec un intérêt triste, sa destinée, pendant six ans, liée à la mienne. »

Son installation était achevée au début de février 1854 et il se déclarait enchanté de son nouveau logis : « Je travaille à remanier mon très petit jardin ; j’ai planté huit arbres, voilà ma forêt et mon espérance d’ombre pour le mois de juillet, si Dieu me prête vie jusque-là. Quant à mon appartement, j’en suis de plus en plus charmé, c’est ce que j’ai jamais eu de mieux et de ce côté-là, je n’ai absolument rien à regretter pour le passé, ni à désirer pour l’avenir [2]. »

Cet avenir, hélas, devait être bien court et la mort, avant

  1. 8 juin 1853.
  2. Lettre à Mme Holland, 18 février 1854.