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volonté persistante, néanmoins voilée d’une ombre de tristesse :

« Je corrige mon Histoire de la Conquête, mais je ne veux faire que cela et je n’ai pas l’ombre d’un nouveau récit des Temps Mérovingiens. Si Dieu me prête vie, il faudra que je termine mon Essai sur l’histoire du Tiers-État, avant de retourner à ce travail de prédilection, dont je dis et je voudrais qu’on dise un jour avec sympathie : Pendent opera interrupta [1]. »

Toutefois il ne s’illusionne guère et pressent bien que ses corrections, une fois définitives, ne répondront pas entièrement à l’espoir de ceux qui l’ont encouragé à les entreprendre. Mélancoliquement, il avertit lady Holland :

« Vous me parlez de mes corrections avec une sympathie mêlée de regrets. Hélas ! vous avez raison, il vaudrait mieux qu’elles ne fussent pas à faire, mais j’ai vu la nécessité et je m’exécute bravement. Qui ferait cela pour moi quand je n’y serai plus ? C’est un coup de balai qui enlèvera bien de la poussière à mon ouvrage. Ce qui doit durer de lui sera plus en évidence ; on le lira plus longtemps et la mémoire de l’auteur y gagnera. Malgré la peine que cela me donne et l’absence d’utilité présente, je persiste à prendre cette peine et je n’aurais ni le cœur, ni la tête à autre chose. Cependant, je ne me berce pas d’illusions et je sais très bien, quelle que soit ma bonne volonté, que je laisserai encore bien des mécontents et que le nombre sera grand de ceux qui ne trouveront pas ce qu’ils attendent [2].

Ses prévisions ne l’abusaient pas : Mgr Pie devait condamner plus tard la « teinte rationaliste » malgré tout conservée par la Conquête, Aubineau s’acharner derechef sur l’écrivain qui, « ne s’étant pas proposé d’éliminer de ses écrits tout ce qui pouvait blesser la foi et nuire aux âmes, n’avait consenti à corriger que ce qui lui était démontré par l’histoire [3]. »

Cependant un événement malencontreux était venu retarder encore le travail des corrections. A la suite des nouvelles émeutes fomentées par Mazzini, à Milan, en février 1853, le gouvernement autrichien avait décidé de placer sous séquestre les biens de tous les Lombards résidant à l’étranger pour des motifs politiques. Bien qu’innocente de toute complicité dans la révolte, Mme de Belgiojoso avait donc vu saisir ses revenus et,

  1. Lettre au comte de Circourt, 28 septembre 1855.
  2. 30 juin 1853.
  3. L’Univers, 16 juillet 1857.