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la certitude, ne portaient pas seulement sur des sujets d’histoire. Le prêtre s’efforçait d’affermir la foi encore hésitante de son hôte [1], de combattre ses objections en fortifiant son jugement. L’Eglise discutait alors le dogme de l’Immaculée Conception et des controverses publiques en précédaient la définition solennelle. L’historien manifestait à ce propos la plus grande inquiétude : « J’appréhende pour moi le contre-coup de la décision que va prendre l’Eglise pour un nouveau dogme. Etes-vous soumis d’avance à tout ce qui va se faire ? Nous en causerons à votre retour [2]. »

La question et les problèmes qu’elle soulevait retenaient vivement son attention, et comme le P. Gratry en traitait à Saint-Roch, il pria Emile Egger de l’aller écouter pour lui soumettre ses raisonnements. L’helléniste y consentit et sa lettre résume sans conclure les arguments qu’il vient d’entendre :


Monsieur et cher maître,

« Suivant votre désir, j’ai entendu ce matin l’homélie du P. Gratry sur la nécessité d’une retraite. Il y avait à la fin une parenthèse sur cette question de l’Immaculée Conception « dont quelques catholiques ont la bonté de se scandaliser. » Le P. Gratry tient la question pour tranchée par le raisonnement que voici :

« Dans la masse de perdition que forme l’humanité depuis le péché originel, il faut bien qu’un point reste pur, pour que Dieu, par ce point, ressaisisse et relève notre espèce. De même que, dans le Déluge, un point resta intact, où la colombe, qui est l’Esprit-Saint, put poser ses pieds ; de même, quand votre fils s’est laissé aller à la corruption du monde ; — mon cher frère ou ma sœur, — vous savez qu’au fond de ce cœur corrompu, il y a toujours une fibre inattaquée et que là se cache le germe d’une sanctification nouvelle. La conception immaculée de la Vierge est ce point, cet atome, ce germe, etc., unique dans le temps et dans l’espace, par où Dieu devait sauver le genre humain. Sans ce dogme, la philosophie catholique n’a pas de sens ; avec ce dogme, tout s’explique, tout s’éclaire. C’est la seule

  1. « Je voudrais bien être aussi ferme que vous dans la bonne voie ; mais j’ai plus de bonne volonté que de confiance et je fléchis bien souvent. » (Lettre à M. Daveziès, 19 novembre 1854).
  2. Id.