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Renan de l’interprétation des textes irlandais et scandinaves. L’historien recueillait leurs avis, tenait compte de leurs avertissements, tout en gardant son initiative, la liberté de ses décisions et conservant toujours à cœur, de maintenir à son œuvre le caractère original de son inspiration, d’en perfectionner le fond, sans en altérer la forme, d’en pacifier le ton sans abaisser ni éteindre le style.

Une difficulté néanmoins se présentait. Aucun de ses collaborateurs bénévoles, Renan excepté, dont Augustin Thierry se défiait à cet égard, ainsi que de Jean Wallon, n’était versé dans la connaissance de l’histoire ecclésiastique. Il sentit le besoin d’un guide averti qui put diriger sa route sur des chemins obscurs. L’abbé Hamon, tout récemment appelé à la cure de Saint-Sulpice, faisait alors la tournée de ses ouailles. Il se présenta rue du Mont-Parnasse et reçut de son paroissien l’accueil le plus encourageant. Ce fut lui qui désigna à Augustin Thierry le P. Gratry, comme le plus capable et le plus digne de le seconder dans ses travaux et d’éclairer sa conscience sur les faits de l’histoire de l’Eglise qui pouvaient encore la troubler.

Le polytechnicien converti, l’ancien aumônier de l’Ecole Normale, le restaurateur de l’Oratoire, jouissait déjà dans les milieux de pensée d’une réputation justifiée. Sa polémique avec Vacherot avait eu, deux années auparavant, un retentissement considérable. On avait hautement apprécié, depuis lors, la puissance de raisonnement et l’élévation des idées qui, dans son Cours de Philosophie, ennoblissaient l’examen de la connaissance de Dieu. Chacun s’intéressait aux efforts courageux qui l’associaient au P. Petetot, pour ordonner la renaissance de la savante congrégation qui avait fourni au XVIIIe siècle tant de prêtres éminents. L’absolue loyauté de son caractère, l’étendue de ses connaissances, le libéralisme éclairé d’une foi tolérante, le zèle intelligent de sa ferveur apostolique, tout en lui, jusqu’à ses préférences gallicanes, devait contribuer à séduire Augustin Thierry.

Après que l’Oratorien eut répondu avec empressement à l’appel qui lui fut adressé, les relations entre eux ne tardèrent pas à prendre un caractère amical. Le P. Gratry se rendait souvent rue du Mont-Parnasse, et les conversations qu’il poursuivait avec un interlocuteur désireux de se reposer enfin dans