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apportées à ses livres, inspirées par la recherche du mieux et le souci de la perfection. Trop artiste pour ne pas sentir la valeur des mots, il passait et repassait la lime, à chaque nouvelle édition, sur ces mêmes pages si lentement élaborées, qu’on les aurait crues définitives. Ses Lettres sur l’Histoire de France et son Tiers-État témoignent de cette inquiète et permanente sollicitude, au point que cette attention scrupuleuse à revenir sans cesse sur ses ébauches primitives, apparaît comme une tournure de son esprit et un penchant de son caractère.

Il s’agissait à présent d’un tout autre travail et de proportions bien plus considérables. La refonte qu’il méditait pour la Conquête, n’impliquait assurément pas le désaveu du consciencieux labeur de sa vie, la rétractation de son œuvre, l’humiliation sans réserve d’une sainte et noble fierté, une sorte de mea culpa d’un pénitent qui s’accuse d’ignorance et d’erreur ; elle n’entraînait pas moins de radicales transformations, par endroits susceptibles de modifier les conclusions premières. Comme il avait autrefois supprimé ou atténué, dans Dix ans d’Études, les articles qui lui semblaient suspects de passion politique, il poursuivra « par amour de la justice et de la vérité » le travail de bonne foi qui doit achever de ruiner ses forces. Les plus malveillants de ses détracteurs seront obligés de rendre hommage à sa loyauté. Aubineau écrira vingt-cinq ans plus tard : « M. Thierry a élevé un monument touchant, bien qu’imparfait, de son respect pour la vérité. Il faut rendre justice à sa mémoire. »

Afin de mieux éclairer son jugement, l’historien forma une espèce de conseil intime d’amis et de confrères, choisis à dessein dans des opinions et des âges différents, auxquels il soumettait ses doutes, ses scrupules et ses remaniements en projet. Outre le modeste et savant Félix Bourquelot qui tenait la balance et prononçait souvent en dernier ressort, le petit aréopage comprenait MM. de Cherrier, de la Villemarqué, Tiby, un fureteur, ingénieux et subtil, d’absolu dévouement et d’intransigeante franchise qu’Augustin Thierry surnommait « son public, » Jean Wallon, Egger et Renan. Dans ce collège d’érudits, Egger et Jean Wallon étaient plus spécialement chargés des recherches de philologie ; La Villemarqué, de l’étude des antiquités celtiques ;

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  1. Lettre à M. Guillemin, président de cette Conférence pour la paroisse Saint-Sulpice, 17 avril 1854.