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Boileau sur les Caractères et de les condamner pour défaut de transitions. Gorini, qui écrit un style obscur et rocailleux, ignore ou dédaigne les artifices de la composition littéraire et les élague. Aux procédés de la rhétorique, il préfère des numéros d’ordre. En guise de préambule, il donne invariablement une notice élémentaire sur le personnage historique étudié, avec quelques sommaires observations sur les difficultés à éclaircir ; puis vient une citation textuelle et in extenso du passage à réfuter dans l’auteur pris à partie. Le texte ainsi collationné est mis en vedette et l’on voit défiler en avant de la thèse les objections armées de leurs pièces. Alors seulement le critique entame le travail de la réfutation, s’attaquant sur sa route aux erreurs qu’il estime les plus dangereuses. Serrant ensuite le débat, il ne se retire de la lutte qu’après avoir délogé l’ennemi de ses positions : un bref résumé clôt enfin la dispute et, croit-il, établit sa victoire [1].

Il se mit aux prises avec Augustin Thierry en deux chapitres de son livre : Clovis et le clergé gaulois et Saint Grégoire VII. Au point de vue de la science historique, il y aurait fort à reprendre à sa méthode qui s’oppose à tout essai de synthèse et recourt aux sources, sans en discuter la valeur, usant de documents tronqués, supposés ou interpolés, acceptant les faits traditionnels sans réserve, se bornant à les expliquer ou à les atténuer. Mais, à la différence d’Aubineau qui faisait œuvre de polémique haineuse, le prêtre cherchait à gagner une âme et, de son propre aveu, « à démasquer l’impie par la science, à le sauver par l’attrait de la charité. »

Il découlait de ce désir apostolique une croyance bienveillante à la bonne foi de ses adversaires ; l’auteur de la Défense de l’Église savait à combien d’erreurs involontaires prêtent, chez les plus impartiaux, des préjugés inconscients et l’ambition de la nouveauté : « Walter Scott, disait-il, a gâté tous ces messieurs, » et il dénonçait avant Lacordaire les périls de l’invention en histoire.

Ce besoin de croire au bien, cette mesure dans la discussion, cette honnêteté et cette modération de plume le servirent au mieux avec Guizot, qui lui voua son estime, avec Augustin Thierry, qui se sentit attiré vers son critique et la religion qu’il représentait. Aubineau l’avait injurieusement inculpé de

  1. Abbé F. Martin, op. cit., passim.