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aurait vu que la plupart de mes additions au texte de Grégoire de Tours ont leurs racines dans la narration donnée par les savants du XVIIe siècle et que leurs inductions, très abondantes, m’ont fourni ou suggéré les miennes. Il aurait vu en outre qu’Adrien de Valois, lorsqu’il met en scène quelque personnage nouveau, ne manque jamais, ou presque jamais, de dire s’il était Franc ou Gaulois d’origine, et cela sur la seule physionomie du nom, lorsqu’il n’existe aucune autre preuve. Il aurait su que ce commentaire du nom propre est une des conditions naturelles de l’histoire du VIe siècle ; que je ne suis nullement l’inventeur de cette pratique observée, il y a deux cents ans, et que pour s’y conformer aujourd’hui, il n’est pas besoin de s’être entêté du système de la distinction des races. Enfin, monsieur, vous-même, vous n’auriez pas été exposé à me faire, sur sa parole, une grave leçon, que le moins systématique des historiens devait recevoir de vous, en même temps que moi [1]. »

Un livre plus grave allait influer bien davantage sur les résolutions d’Augustin Thierry.

C’est une originale et attachante figure que celle de l’abbé Jean-Marie-Sauveur Gorini, curé de Saint-Denis, au diocèse de Belley. Elevé par un évêque italien exilé à Bourg par Napoléon Ier, ordonné prêtre en 1827, il était professeur d’humanités au petit séminaire de Meximeux, quand une disgrâce soudaine l’enlevait à sa chaire de belles-lettres et l’envoyait, le déportait presque à la Tranclière, un hameau perdu en pleins marécages bressans.

Il devait y rester près de vingt années, « en un presbytère ouvert à tous les vents, ayant pour carrelage la terre battue, pour tapis l’herbe qui poussait entre les fentes. Par les temps de gelée ou de neige, les loups affamés s’avançaient en hurlant jusqu’aux haies vives du jardinet et dévoraient le chien de garde. Un méchant réduit servait à la fois de cuisine et de salle à manger, de salon et de cabinet de travail, voire de bibliothèque [2]. »

Mais c’était un cœur robustement trempé que l’humble desservant : à force de courage et d’énergie, il parvint à adoucir les souffrances de son purgatoire, à continuer les recherches

  1. Lettre à Alfred Nettement : 28 octobre 1853.
  2. Abbé F. Martin, Vie de M. Gorini.