Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ici, vous auriez eu la première confidence de ces pensées et loin de me cacher de vous, par crainte de dissentiments, je vous aurais demandé conseil.

« La personne qui m’a envoyé sans se nommer le Nouveau Testament et des sermons de M. le pasteur Monod n’est pas Mme de Gasparin, mais une autre dame qui ne m’a jamais vu, qui ne paraît pas souhaiter me voir et dont je ne sais pas même le nom ; lorsqu’après avoir relu l’Évangile et parcouru les discours de M. Monod, je me suis senti peu attiré vers la communion protestante, cela ne voulait pas dire que je me plongeais en aveugle dans la soumission absolue aux doctrines et aux préceptes de la hiérarchie catholique. Je trouve que la tradition est un grand appui et je ne m’en séparerai pas, mais je continuerai de distinguer le bien du mal dans la conduite passée ou présente des affaires de l’Eglise. Je porte le même jugement qu’autrefois sur la politique des papes, l’inquisition et l’intolérance : soyez sans inquiétude là-dessus et croyez aussi que je n’ai pas et que je n’aurai pas de directeur de ma conscience : je tâcherai de l’éclairer par celle d’autrui, mais je ne la livrerai pas.

« Un mot que j’ai dit sur l’abbé Carron vous a effrayé bien à tort ; s’il venait me voir aux heures ou je puis causer longuement, j’aimerais son entretien et je prendrais ses conseils : seulement, je trouve qu’il n’a pas dans sa foi la parfaite assurance que donne la sérénité ; il est un prêtre inquiet, il hésite, il cherche encore et sa parole est peu capable de raffermir ceux qui voudraient ne plus hésiter et ne plus chercher.

« J’ai un autre ami nouveau, dont les visites assez fréquentes me sont agréables, il est moins homme du monde que l’abbé Carron, plus savant et en même temps plus ferme et plus calme que lui. C’est M. l’abbé Cruice, Irlandais d’origine, directeur de l’Ecole des Hautes Etudes ecclésiastiques établie aux Carmes, homme qui n’est étranger à aucune science et à aucune littérature. Mignet l’a vu chez moi et l’a trouvé de fort bonne conversation, peut-être vous en aura-t-il dit un mot. Il l’appelle mon confesseur. Eh bien ! ce confesseur, ce directeur de ma conscience et de mes pensées, je n’ai encore causé avec lui que de philologie et de littérature et il ne parait pas plus que moi pressé de parler intimement et sérieusement d’autre chose.

« Voilà où j’en suis, et si vous reveniez, ce que malheureusement,