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forme qu’elle lui soit présentée, cette fixité du symbole, cette poésie du culte, ou ce prestige de l’antiquité, qui pouvaient seuls déterminer son adhésion.

C’est le sentiment qu’il exprime sans détours à la princesse Belgiojoso, en lui faisant le récit d’un incident mystérieux qui a produit sur son esprit une impression profonde :

« M. l’abbé Carron [1], qui est un de vos amis les plus sincères et les plus dévoués, vient me voir de temps à autre. J’ai beaucoup d’amitié pour lui, je le trouve d’une excellente et très aimable conversation, trop aimable peut-être pour moi ; car en ce moment, je suis à désirer l’entretien d’un ecclésiastique plus sauvage et plus absolu.

« Ce désir, dont je vous fais part pour la première fois, ma chère sœur, et qui vous étonnera peut-être, se rapporte à une chose qui vient de m’arriver, il y a quelques semaines, et qui en me surprenant, m’a fait beaucoup réfléchir. J’ai reçu d’une personne inconnue l’envoi d’un exemplaire de l’Ancien Testament, avec ces seuls mots écrits : « Venez à moi, vous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai. » — Saint-Mathieu. — Le livre était accompagné de trois discours de M. le Pasteur Monod, ce qui montre que la personne qui m’a fait l’envoi et dont j’ai recherché en vain la trace, est protestante.

« Il m’a paru que ce conseil mystérieux était un signe pour moi et que j’entendais le Tolle, lege , qui retentit si profondément dans l’âme du saint dont je porte le nom. J’ai pris et j’ai lu ; ma lecture faite régulièrement m’a conduit jusqu’à la fin des Épitres de saint Paul. Je la continuerai jusqu’au bout ; ensuite je passerai aux Sermons de Bossuet sur les mystères, car, quoique l’appel me soit venu d’un chrétien réformé, je n’incline pas du tout vers la Réforme. J’ai lu avec déférence et respect les discours de M. Monod, mais cette communion insurgée contre la tradition des siècles, qui n’est qu’une fraction de l’Église et qui se raidit sans cesse pour paraître l’Église elle-même, a pour moi quelque chose de contraint, de guindé, de puéril même, qui me gâte ses meilleures paroles et ses inspirations les plus morales.

« Si Dieu m’en fait la grâce, je deviendrai croyant et catholique.

  1. L’abbé P. Carron, curé de Saint-André à Paris, un prêtre érudit et aimable très répandu dans le monde. Son nom revient assez fréquemment dans la Correspondance de Mme Jaubert.