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Alors, privé du commerce de ses amis, confiné dans une retraite presque absolue, en proie au plus complot désordre moral, son dogmatisme historique ébranlé par la débâcle de la monarchie parlementaire et la banqueroute de l’esprit libéral, ses convictions bouleversées, parvenu d’ailleurs à l’âge où l’homme, en présence du redoutable problème de son avenir, se replie naturellement sur les souvenirs de ses premières années, Augustin Thierry ramena sa pensée vers les idées religieuses.

Ame profonde et sensible, éprise de vérité, la certitude que lui a refusée une science toujours faillible, il veut désormais la demander aux croyances éternelles qui donnent de l’énigme de la vie et de la destinée humaine, la solution la plus haute et la plus consolante. Mal porté néanmoins aux spéculations philosophiques, ne s’étant à aucune époque préoccupé du dogme, n’ayant jamais envisagé la religion qu’au point de vue politique et social, il ne voulut point s’enfoncer en des problèmes de théologie et de métaphysique, dont les obscurités l’effrayaient, et sentit bien au contraire, avec ce besoin du positif qu’il éprouvait en toutes choses, la nécessité d’une foi bien arrêtée et d’un symbole précis. Une fois sur cette pente, il était dans la logique de son caractère de ne point hésiter sur les conséquences, après s’être fixé sur les principes, et de conformer ses actes au dogme qu’il aurait définitivement adopté.

Tel parait bien avoir été le mécanisme intérieur et semble demeurer l’explication psychologique de ce qu’on eut le tort d’appeler improprement sa conversion et qui ne fut en réalité qu’un retour graduel et raisonné aux exemples comme aux enseignements reçus dans son enfance, l’expression d’un travail intime et réfléchi, poursuivi durant des années, sans aucune marque de soudaineté, ni de subite illumination. A deux reprises déjà, nous avons signalé . les premiers et lointains symptômes de ce revirement moral ; nous allons voir s’affirmer de plus en plus une aspiration d’abord vague, bientôt plus nette et mieux définie, longtemps encore cependant contrariée de doutes et de restrictions.

Comme s’il espérait trouver chez elles une compréhension plus intuitive, un accord plus absolu de leur âme à la sienne, c’est à deux femmes qu’Augustin Thierry fait le premier aveu des sentiments nouveaux dont il est pénétré.