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Tout geignant, sur les rails, il glisse avec ennui,
Et la foule un instant marche à côté de lui ;
Et nous, pris, emportés par le flot noir et blême,
Serrés l’un contre l’autre, et ne comprenant pas
Pourquoi nous frissonnons au sein du bonheur même,
Nous mêlons nos pas à ces pas.

D’où nous vient brusquement cette hâte insensée,
Ce délire anxieux qui donne à notre amour
Une nuance plus foncée
Pareille aux eaux d’un lac quand s’obscurcit le jour ?

Hélas ! en moins d’une minute.
Oublieux de l’azur qui brille entre les mâts,
Nous retournons à nos climats,
Comme un corps que son poids entraine dans sa chute.



Lampes des trains de nuit que voile un manchon bleu.
Par delà les choses visibles.
Tout l’essaim des rêves pénibles
Recommence à danser autour de votre feu.
O vieux son familier, grincement de l’essieu.
Comment ne serais-tu qu’un vain bruit de ferraille,
Toi qui berçais jadis nos désespoirs d’enfants ?
Non, non, ta voix gémit ou raille.
Et, dans l’affreux sommeil des wagons étouffants,
Ce vent-coulis de la vitesse
Qui ressemble au fil d’un rasoir.
C’est le pays natal qui nous rend, dès ce soir,
Le souffle et le baiser de l’ancienne tristesse.



Après l’olivier, le mûrier ;
Après le mûrier, voici l’aune
Qui, de son pâle frisson jaune,
Commence à vous colorier,
O brumeuses rives du Rhône.