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Et puis Perlet déplorait la perte d’un petit carnet de poche qui lui servait de mémorandum et sur lequel se trouvaient inscrits des renseignements « très confidentiels. »

L’histoire de ce carnet est révélatrice de l’astucieux génie dont était doué Perlet. Si ignorant fùt-il des usages mondains, il entrevoyait vaguement que, peu habitué à être bien reçu, il avait pris sottement pour des témoignages d’estime l’urbanité habituelle aux grands personnages avec lesquels il se trouvait en relations. La courtoisie, toute nouvelle pour lui, du début, s’était bientôt muée en une indifférence évidente ; au vrai, on ne le prenait guère au sérieux et le succès de son voyage lui semblait être compromis. Afin de le rétablir, il imagina d’inscrire au crayon, sur un petit carnet relié en maroquin rouge, quelques noms, quelques chiffres et quelques dates et de cacher cet agenda dans un coin sombre de son alcôve, derrière son lit. Puis il se montra très agité, annonça partout qu’il venait d’égarer un calepin contenant des indications précieuses, et s’informa si personne n’avait trouvé ces compromettantes tablettes. On conclut de son inquiétude que cet agenda recelait les plus intimes secrets de la conjuration parisienne : la composition du mystérieux Comité peut-être... Fauche-Borel, angoissé, suppliait qu’on le rassurât : ― « Dites-moi si vous avez retrouvé votre portefeuille, » et il n’était pas loin de soupçonner Puisaye ou d’Antraignes d’avoir volé ce livret révélateur de leurs crimes : — « Je suis convaincu qu’ils vous font passer pour un espion. Ce sont des monstres ! Votre portefeuille perdu aura prouvé peut-être que vous êtes instruit du nom de leur correspondant avec Talleyrand... » Enfin le carnet fut retrouvé ; mais avant d’être rendu à son propriétaire, il passa, — comme Perlet secrètement le souhaitait, — dans les mains des ministres, dans celles de d’Avaray ; il parvint même à Fauche-Borel ; aucun, bien entendu, ne se fit scrupule d’en déchiffrer les hiéroglyphes : parmi nombre de notes griffonnées au crayon, on rencontra dans cet aide-mémoire une liste de noms, — ceux du Comité, objet des perpétuelles cachotteries de Perlet : — Royer-Collard, Barthélémy, Molé, Mollien, Fouché... » Fouché en était ! Quand le mouchard rentra en possession de son agenda, il avait grandi, de cent coudées dans l’estime du Cabinet britannique et de la Cour de Gosfield, si bien que le Gouvernement anglais se chargea d’assurer son retour par la