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La conversation s’engage ensuite « familièrement » sur Bonaparte : — « Quels sont ses projets ? demande le ministre ; peut-on connaître les décisions de son Conseil ? » Perlet se lance alors dans un long exposé du caractère autoritaire et sournois de l’Empereur : en habitué des Cours, il déclare que « Bonaparte diffère des autres souverains : il ne communique ses plans à personne, et s’il admet ses ministres et ses maréchaux à lui soumettre leur avis, il prend seul toutes les déterminations. » — « Vous sentez, Mylord, poursuit le mouchard, qu’une pareille manière de gouverner est difficile à connaître et que ceux qui prétendent avoir de pareils secrets sont évidemment des imposteurs. » Lord Hawkerbury le questionne ensuite sur le fameux Comité et sur l’influence du parti royaliste en France ; mais ici le policier affecte la discrétion : il y a certaines confidences qu’il doit réserver pour le Roi son maître, insistant cependant sur ce point que le puissant Comité dont il est le porte-parole a la certitude du succès, « tant par l’autorité des membres qui le composent que par les mesures de sûreté qui sont prises d’avance : » il importe seulement que le Comité soit informé bien exactement « de tout ce que prépare, dans le dessein de détruire l’Empereur et sa puissance, le Gouvernement anglais, afin de combiner une action commune. » Et Perlet ajoute à sa relation : — « Lord Hawkerbury parut content de ce développement. » L’entretien terminé, — il se prolongea durant deux heures, — le Lord reconduisit son visiteur, peu habitué à tant de déférence, jusqu’à la porte extérieure de son appartement en « lui faisant beaucoup d’amitiés. » Il le remit à M. Brooke, le chef de l’Alien-Office, auquel il recommanda de prévenir tous ses désirs. Le jour suivant, Perlet était admis en présence de M. Canning, ministre des Affaires extérieures, avec lequel il causa pendant deux heures encore et, qui parut, lui aussi, concevoir une idée tout à fait favorable de son interlocuteur. M. Brooke, en reconduisant l’espion, ne lui cacha pas que son « Son Excellence était tout à fait contente. » Aussi, remarque Perlet, — et ceci est un clair indice de sa platitude d’âme, — depuis ce moment, M. Brooke a été aux petits soins pour moi et m’a fait toutes les politesses que l’on fait à un homme bien avec les ministres... »

En attendant que, Louis XVIII consentit à le recevoir, Perlet devait rester, sinon prisonnier, du moins reclus : l’Alien-Office