Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pourtant il comprit que toute résistance serait vaine ; il partit pour Bath, dans l’espoir que le chef de l’Alien-Office se contenterait de cette apparente soumission.

Il s’en contenta, en effet. Le Cabinet britannique, instruit du prochain débarquement de Perlet, soupçonnant toujours une collusion entre cet énigmatique personnage et Fauche-Borel, avait résolu d’éloigner celui-ci pour que l’autre, livré à lui-même sur la scène nouvelle où il devait se produire, fût obligé de jouer son rôle sans souffleur et qu’on pût, par conséquent, plus aisément juger de sa sincérité et de sa droiture. Mais Fauche, désolé de n’être point de la pièce au moment du coup de théâtre, voulait qu’on entendit au moins sa voix à la cantonade : s’il lui était interdit de paraître, il pouvait écrire : il écrivit donc, à Louis XVIII, à Lord Moira, l’ancien ministre, l’un de ses protecteurs, à sir Flint, qui lui avait toujours témoigné de la bienveillance, protestant à tous que sa présence à Londres était indispensable et que le sort de l’Europe se jouait... On lui accorda une permission de séjour d’une décade. Il accourut... Perlet n’était pas arrivé ! On touchait à la seconde quinzaine de mai ; depuis deux mois donc l’agent du Comité était en route, et ce retard autorisait les plus angoissantes suppositions. Fauche-Borel dut regagner son exil sans avoir vu « son cher ami, » mais non sans l’avoir recommandé chaleureusement à tous ceux auxquels était réservé ce bonheur ; il annonçait au sous-secrétaire d’Etat, sir Hammond, la venue de « cet homme brave et loyal » comme un événement « d’une extrême importance dans les circonstances actuelles, » le signalait comme « l’organe d’un parti nombreux et puissant » et suppliait que Son Excellence M. Canning voulût bien recevoir cet ami précieux, représentant l’élite des royalistes de France. De la sorte, il confisquait, d’avance à son profit, une part du succès que ne pouvait manquer de remporter Perlet auprès des autorités du Royaume-Uni.

Mais Perlet ne paraissait pas. Arrivé le 27 mars à Rotterdam, soit qu’il hésitât encore à poursuivre son voyage, soit qu’il trouvât bon de souffler un peu, momentanément délivré des lourdes chaînes dont il s’était entravé, le 5 juin seulement il prit passage sur une barque hollandaise qui, rompant le blocus, parvint à accoster en pleine mer, après un jour de navigation, un bateau pêcheur anglais sur lequel il continua son voyage.