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Il leur fournit une lanterne sourde en leur indiquant la manière de l’utiliser : — « on va sur le bord de la mer, la lanterne allumée ; on la montre trois fois, de demi-heure en demi-heure, et on la cache : les bateaux anglais qui louvoient non loin du rivage, et qui sont instruits, approchent. » Il leur apprend aussi les signaux anglais : — « un pavillon en berne, hissé et amené trois fois », annonce une communication à prendre la nuit prochaine. Si quelque douanier rôde aux environs, faire le signal de plus d’espoir : un feu sur la falaise pendant le jour, une fusée, la nuit. Leclerc exigeait de ses « facteurs » qu’ils lui apportassent un reçu pour chaque paquet remis à la croisière. Pas de reçu, pas de paie. La femme Philippe, malgré sa prodigieuse corpulence, portait à des endroits désignés les lettres reçues : elle recevait 12 francs pour son voyage. Leclerc lui avait bien recommandé, si elle était arrêtée en route, de dire « qu’elle venait de trouver ces papiers sur la côte et qu’elle les portait à la gendarmerie de la ville d’Eu ou de Boulogne. »

Ce conspirateur vagabond, déjà plus que quadragénaire et dénué de tout attrait, exerçait sur les femmes un prestige inexplicable. Que des dévotes, très attachées à la cause des Bourbons, eussent, en raison de son caractère sacré, risqué, pour lui donner asile, la prison ou l’échafaud, voilà qui ne surprend point ; mais sa haine fanatique contre Bonaparte et la France révolutionnaire était irrésistiblement communicative, car elle occasionna, — bien involontairement sans doute, les mœurs de Leclerc paraissant avoir été sans reproches, — un esclandre affligeant et qu’il faut mentionner comme un trait singulier des mœurs de l’époque. Au nombre des royalistes chez qui Leclerc séjournait de temps à autre, se trouvait Mme Roussel de Préville, veuve d’un capitaine de vaisseau de la marine royale et comptant parmi les personnes les plus considérées de la société boulonnaise. Mme de Préville avait, entre autres enfants, une fille qui approchait, en 1804, de ses dix-neuf ans. Mlle de Préville était extrêmement jolie, quoique de très petite taille : cheveux et sourcils châtain, yeux bleus, nez aquilin et bien fait, bouche petite, menton rond, visage ovale et légèrement coloré, » ainsi la décrit son signalement. En raison de sa beauté et de sa grâce, on la surnommait Nymphe. C’était une enfant adulée ; — « de la gaité, une légèreté extraordinaire,