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L’abbé Leclerc qui, de son taudis de la rue du Pot-de-fer, n’a cessé d’entretenir, lui aussi, une correspondance très active, de centraliser les rapports de toutes les agences royalistes de France qu’il transmet aux princes proscrits, est, en 1803, appelé à Boulogne par l’abbé Ratel. C’est l’époque où la guerre éclate de nouveau entre la France et l’Angleterre : Bonaparte a conçu le vaste dessein de jeter son armée sur la terre anglaise et le camp de Boulogne s’organise. Le cabinet de Saint-James tient à être bien renseigné : Ratel, par prudence, se fixe à Londres et Leclerc est chargé de toute la correspondance de la côte. Travail éminemment délicat et dangereux, car des patrouilles de gendarmes parcourent incessamment le pays et des policiers, envoyés de Paris, exercent sur la région de Dunkerque à Etaples. une surveillance minutieuse. Leclerc se met à la besogne : il n’a, lui, ni château, ni maîtresse ; il n’accepte même pas de traitement, ne dépensant rien pour lui-même : il trouve asile chez des amis de la bonne cause, qui l’hébergent volontiers et qu’il n’encombre jamais bien longtemps, étant presque toujours en route, dans une petite berline que conduit son unique secrétaire, un certain Pierre-Marie Pois, dont les pseudonymes sont nombreux autant que pittoresques : Larose, Gaudebert, Vieille-Femme, Martin, la Besace, Vieille-Perruque, etc. Grâce à ces faibles moyens, Leclerc qui, lui-même, se manifeste sous les noms d’emprunt de Bailly, de Godefroid, de Lepage, parvient à fournir l’émigration de rapports égalant en informations précieuses ce Bulletin que, pendant toute la durée de son. ministère, Fouché adressera quotidiennement à l’Empereur.

Sur une côte dont les moindres replis étaient occupés par des postes de soldats et où se concentraient toutes les forces de l’armée française, comment Leclerc parvenait-il à poursuivre son espionnage et à entretenir avec l’Angleterre des communications suivies ? Il partait dans sa petite berline, ordinairement en compagnie de son secrétaire Pois, dit Larose, gagnait Etaples, passait la Canche, l’Authie, la Somme, puis la Bresle, et là, dans le pays d’Eu que n’occupait point la troupe, il entrait en relations avec des pêcheurs besogneux.

Leclerc s’attacha de la sorte Philippe, épicier-pêcheur au Tréport, qui lui-même enrôla deux camarades, nommés Dieppois et Lefort, puis Duponchel, le maître d’école de l’endroit.