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n’est pourtant question que de lettres échangées d’un côté à l’autre de la Manche, d’envois d’argent, de traites tirées par les banquiers londoniens sur des banquiers de Paris, d’émissaires passant le détroit et parvenant, le plus souvent, à dépister la police, les douaniers et les garde-côtes, on sera peut-être curieux de pénétrer les secrets de cette incessante circulation entre deux pays officiellement fermés l’un à l’autre. Durant quinze ans, la correspondance avec l’Angleterre fut l’occasion de drames sanglants, de poursuites romanesques, de déguisements, de procès, de dénonciations, d’enquêtes policières, de fuites éperdues, de chasses acharnées, de ruses épiques. Elle s’effectuait cependant. Comment ?

Au temps de la Terreur et de la chouannerie, les royalistes avaient dû faire preuve d’une singulière fertilité d’imagination pour correspondre, en dépit des draconiennes législations de l’époque, soit avec leurs amis de l’intérieur, soit avec les émigrés. Cet apprentissage de longue date avait porté ses fruits et, quand fut décrété le Blocus continental, il se trouva un personnel expérimenté, tout prêt à narguer les prohibitions et à entretenir les relations avec la Croisière anglaise qui évoluait jour et nuit en vue des côtes de France. Dans les papiers d’un de ces agents fut découvert, en 1805, un itinéraire détaillé de Paris à Rotterdam, avec désignation de « tous les lieux où l’on exige la présentation des passeports, de ceux où les autorités négligent de les demander, des auberges où l’on peut coucher sans péril, etc. » On y trouva aussi des indications concernant l’usage de la « boîte de fer : » c’était un coffret de métal, renfermant les lettres, et que l’on cachait dans les rochers ou dans le sable de la grève ; à la nuit, un canot se détachait de la flotte anglaise et venait à la côte ; pour éviter aux marins qui le montaient de trop longues recherches, un homme, un fumeur, la pipe aux dents, posté sur la falaise, guidait leurs investigations en tirant de son briquet des étincelles suivant une télégraphie convenue. Le préfet de la Manche fut informé, en 1805, que la correspondance avec Jersey s’effectuait par l’ile Chausey au moyen d’une « boite de fer » ressemblant par sa forme et par la couleur dont elle était peinte, aux pierres saillantes entre lesquelles elle était déposée : « quatre personnes ont parcouru l’ile depuis onze heures du matin jusqu’à cinq heures du soir, ont remué toutes les pierres, sondé tous les