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retourné, en Algérie, à l’islamisme le plus pur ; vêtu suivant le rigorisme commandé par le rôle qu’il s’est tracé, il affiche un profond dédain pour le fez et les vestons modernes des « Jeunes Algériens » . Ajoutons que cet avocat est affilié à la puissante confrérie des Derkaoua, réputée pour son intransigeance et pour son action politique ; il y est devenu moqaddem, c’est-à-dire intendant, ses convictions lui ayant assuré un prestige mérité. Il est superflu d’ajouter que notre homme n’a jamais envisagé la naturalisation française où il aurait abandonné son statut religieux ; personnage avisé, il semble désigné, par son talent, à la défense des revendications musulmanes les plus opposées à notre politique ; esprit souple et délié, il ne manque aucune occasion d’affirmer que la France trouvera toujours ses indigènes pour la seconder, car ceux-ci, ajoute-t-il, sont convaincus des profits à retirer de leur collaboration. Tous les espoirs sont justifiés, affirmait-il récemment, puisqu’ils légitimeront et satisferont toutes les ambitions. Parole d’un utilitaire qui a de l’esprit d’avenir et qui ne s’embarrasse pas des mirages de l’idéologie. On retrouve cette même attitude chez d’autres dirigeants de la cause indigène. « Que nous importent les moyens, si nous parvenons à nos fins ? » s’écriait une personnalité musulmane au sortir d’une réunion publique tenue à Tlemcen et dont l’assistance avait été soulevée d’enthousiasme par un candidat aux dernières élections législatives, venu faire œuvre de propagande révolutionnaire communiste.

On l’a souvent dit, et nos compatriotes d’Algérie le savent pertinemment, nul n’est plus utilitaire et procédurier que l’indigène. Le plus fanatique a toujours quelque réclamation à présenter ; il comprend la commodité de nous combattre avec nos propres armes, presse, réunions, associations, mandats publics. On peut, tant bien que mal, faire endosser au musulman tous les harnais du citoyen moderne, l’envoyer à l’école, à la caserne, à la salle de vote : autre chose est d’en tirer une réelle utilité aussi bien pour lui-même que pour nous [1].

Quant au parti des « vieux Turbans » ou des « Beni-Oui-Oui » que leurs adversaires représentent comme asservis à notre administration, plusieurs sont, cependant, des hommes jeunes, intelligents et énergiques, formant une sorte de parti conservateur.

  1. Raymond Aynard, loc. cit.