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de la reconstitution des djemaas où ils avaient commencé à se faire la main. Le type du courtier électoral indigène est désormais créé au grand dommage, peut-on avancer, de notre colonisation, et nombre de candidats, capitalistes indigènes, ont poussé très loin et du premier coup leur propagande. On les vit, aux dernières élections, avec leurs agents parcourir dans des automobiles rapides leurs circonscriptions, ne négligeant aucun des moyens les plus modernes de réclame. Le jour du scrutin, le troupeau des électeurs rassemblés était amené aux bureaux de vote parfois assez éloignés, présenté aux courtiers ; ces derniers, triés sur le volet, beaux parleurs et quelque peu charlatans, comme il convient, très adaptés à leur tâche de maquignons. Les indigènes, bouche bée et tout oreilles, écoutaient la parole, recevant dans une main un irrésistible viatique avec le bulletin de vote préparé, tandis que dans l’autre, on plaçait leur carte d’électeur. La manœuvre ne s’arrêtait pas là : d’autres agents se repassaient les groupes, les accompagnaient jusqu’aux urnes pour déjouer toute supercherie et néanmoins, en dépit de cette vigilance, on vit des électeurs trahir la cause pour laquelle ils avaient été payés en faisant triompher, à la dernière heure, un concurrent plus généreux.

Ailleurs, ce furent les marabouts, lettrés ou tholba qui rédigèrent les bulletins ; on distribua également des manifestes imprimés à Alger prêchant la « revendication des droits et l’émancipation du peuple musulman. »

La corruption a joué son rôle dans cette campagne ; à certains endroits, les 9 dixièmes des électeurs ont vendu leurs bulletins ; dans quelques localités, on précise le chiffre de 300 000 francs auquel ont atteint certains achats de votes.

Le triomphe fut fêté, la poudre parla, des bandes glorieuses vinrent parcourir les villages français où des bagarres auraient pu se produire sans les mesures prises par les autorités et aussi sans le calme des Européens.

De telles élections firent revenir au jour les déchets de l’administration, anciens khodjas, chaouchs, et autres petits agents congédiés ; tel un notaire indigène révoqué et qui, à l’heure même de son élection, envoya au Préfet du département et à l’Administrateur de sa commune un même télégramme qu’il communiqua, du reste, à tout le monde et qui jette un jour curieux sur la mentalité de ces élus : « Malgré toute mauvaise