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délits. L’indigène se trouvait ainsi libéré ipso facto de toutes formalités pour s’armer, situation qu’allait confirmer une malencontreuse circulaire du précédent Gouverneur, en date du 11 décembre 1919. Les conséquences ne se firent pas attendre dans cette population où le geste est prompt à faire parler la poudre ; en quelques mois, le commerce des armuriers devint des plus florissants et la criminalité doubla. Pour compenser cette négligence de rédaction, il fallut que le sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur [1] demandât au Parlement un amendement établissant une réserve analogue à celle qui avait été prévue pour les délits forestiers. Désormais, les indigènes, électeurs ou non, sont replacés sous le régime de 1851 et soumis à l’obligation de l’autorisation administrative pour se procurer des armes et des munitions. Le 29 octobre 1920, un arrêté du Gouvernement général régularisait enfin la situation accordant un délai de deux mois pour la déclaration en mairie des armes possédées et obtenir l’autorisation réglementaire. Si l’autorisation leur est refusée, un nouveau délai leur est octroyé pour vendre les armes ainsi détenues irrégulièrement à des tiers eux-mêmes autorisés. Toutes ces opérations de régularisation sont en cours, mais il est douteux qu’elles puissent s’effectuer aussi complètement qu’on le souhaite. Le métier d’armurier n’est pas, en effet, sérieusement surveillé ; il y a un registre de vente du reste mal tenu, chez la plupart des détaillants, et comme il n’y a pas de registre d’arrivée, on se demande quel est le contrôle. C’est ainsi que dans l’un des départements algériens, à la date du 5 février 1920, on avait appris que de nombreuses commandes avaient été faites à Saint-Etienne, sans que l’on ait . avisé pour empêcher la dissémination de ces armes. On s’en consolait en disant que le stock existant après la guerre chez les détaillants était heureusement peu important.

Après avoir montré quelques-unes des conséquences de cette loi, on se demande comment une telle imprévision fut possible et pourquoi la haute administration de la colonie, qui compte tant d’agents distingués et d’expérience, n’introduisit pas, en temps opportun, les réserves utiles. C’est ainsi que le législateur a été insuffisamment éclairé ; et, comme dans toutes les entreprises qui tournent mal, personne n’ose plus tirer le moindre

  1. M. Robert David, instruit des affaires algériennes par de longs séjours dans la colonie.