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aux droits du citoyen français, mais il doit alors abandonner son statut personnel musulman, aussi bien en ce qui concerne le mariage, que le divorce et le droit successoral.

Or, ces différents points sont la base même de la société musulmane issue directement du Coran. Il n’est donc pas surprenant que, sauf d’infimes exceptions, la masse se tienne éloignée de la naturalisation dans les conditions où nous la lui offrons ; à peine mille dossiers de naturalisation sur deux générations indigènes. La loi, tout en maintenant ce régime, simplifie la procédure des demandes : celles-ci, instruites précédemment par l’autorité administrative, le seront désormais par l’autorité judiciaire. Le législateur a entendu éviter les longues formalités imposées aux étrangers, estimant, avec raison, que l’indigène algérien étant déjà Français au titre du sénatus-consulte, il était logique de ne pas le soumettre au même régime que celui des étrangers. Ces dispositions sont, toutefois, de peu d’importance, puisque nous venons de voir le très petit nombre de demandes de naturalisation ; il n’est pas à croire que le nouveau régime modifiera une situation due, en réalité, à l’indéfectible attachement d’une population à sa religion, d’autant que cette sorte de particularisme est fortifié par d’ancestrales habitudes, et ce sont ces dernières qui éloignent les Kabyles de notre naturalisation, bien que ceux-ci soient d’assez tièdes musulmans. En admettant que notre intention soit de contrarier un tel attachement, ce n’est pas un simple texte de loi qui permettrait d’arriver à ces fins discutables.

Quoiqu’il en soit, dans les milieux musulmans les plus cultivés, au sens du Coran, on reconnaît la générosité de nos intentions, mais on ne ménage pas les critiques sur le caractère inopérant de beaucoup de ces réformes, alors que le dernier Parlement les croyait destinées au plus grand succès. C’est ainsi que m’étant entretenu avec quelques notables de la société indigène, j’ai trouvé l’expression d’opinions très nettes. Ils ne m’ont pas caché leurs sentiments. « Vous devriez, me disaient-ils, en substance, comprendre qu’il y a incompatibilité absolue à ce qu’un musulman fidèle à sa religion recherche la qualité de citoyen français avec les obligations qui en découlent. Croyez-nous, aucun musulman digne de ce nom n’acceptera de renoncer à son statut, c’est-à-dire à sa loi religieuse, divine, qui est à prendre tout entière et telle qu’elle est. Ce