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de la vie publique, de viser à stimuler l’initiative chez un peuple habitué à obéir à des chefs et à rendre ainsi plus clair et plus saisissant chez lui le sentiment de la solidarité française » [1]. Convenons qu’un tel programme et son application réclament une extrême prudence pour éviter le mirage dangereux d’une assimilation prématurée. Aussi, l’émoi fut-il vif parmi la population européenne ; le mécontentement des Algériens devint de l’irritation quand ils apprirent que cette loi, capable, à leurs yeux, de bouleverser le pays, avait été votée au cours de l’une de ces séances parlementaires du matin où seuls quelques dizaines de députés sont présents ; aussi un congrès des maires de l’Algérie s’organisa ; la motion adoptée, à l’unanimité, par les 246 municipalités représentées fut d’une rare violence, et fit impression à Paris.

La population européenne se ramassait en un bloc ; les dernières élections qui ont renouvelé les délégations financières ont accusé cette situation, les intérêts ruraux s’affirmant comme une sorte de grand syndicat de défense agricole, véritable revanche du colon se jugeant lésé par la politique indigène de la Métropole.

Les partis indigènes n’étaient pas plus satisfaits ; au premier rang des déçus étaient les « Jeunes Algériens « qui s’étaient activement remués avant la guerre, alors que leurs « leaders » étaient partis à la conquête de la Métropole. Ils y avaient rangé à leurs idées plusieurs, et non des moindres, de nos hommes politiques en jouant l’indifférence religieuse, sorte d’anticléricalisme musulman. La loi promulguée, il la jugèrent insuffisante ; ne leur avait-on pas parlé d’un projet de M. le député Marius Moutet qui, au retour d’une excursion dans la colonie, avait rapporté un programme comportant la naturalisation globale des indigènes musulmans dans leurs statuts personnels, quelque chose comme le fameux décret Crémieux de 1870 en faveur des Israélites algériens ? Quant à la grande masse et en particulier celle des combattants rentrant de la guerre, les uns épuisés, les autres mutilés, leur satisfaction était médiocre car ces braves gens n’avaient que faire d’avantages politiques, alors qu’ils soupiraient après des places, des pensions et une meilleure répartition d’impôts. Enfin, l’ensemble des propriétaires indigènes grands

  1. Rapport présenté en 1918 au Sénat sur la loi qui allait être votée en 1919.