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Français purs et celui des néo-Français : c’est un ensemble. Mais si nous nous référons aux recensements antérieurs, on a toute raison de craindre que les Français de France ne soient de plus en plus en minorité. La population française, en effet, a été particulièrement éprouvée par la guerre ; sur 620 000 Français d’Algérie, il est parti aux armées 115 000 hommes et, comme indigènes, 157 000, ces derniers sur plus de quatre millions ; on voit la proportion : un cinquième environ de la population française et un trentième de la population indigène. Les pertes ayant été sensiblement les mêmes, 18 000 Français et 19 000 indigènes tués, la colonisation française va cruellement s’en ressentir !

On avait établi, il y a quelques années, sous une forme saisissante, que l’augmentation de la population française ne progressait que de 3 000 âmes par an, tandis que les étrangers [1] augmentaient de 6 000 et les indigènes de 60 000 ; en 1906 on calculait que, vers 1920, le corps électoral de la colonie serait en majorité formé par les néo-Français, les Algériens, ainsi qu’ils se désignent eux-mêmes avec le légitime orgueil d’un jeune peuple formé à travers toutes les difficultés d’une colonie naissante. Enfin, pour caractériser la population européenne d’Algérie, ajoutons que le particularisme de certains néo-Français, notamment en Oranie où le sang espagnol est prédominant, n’est pas sans influencer nos compatriotes eux-mêmes soit par suite des alliances de familles, soit par l’intensité des sentiments ; c’est ainsi que, dans cette partie de l’Algérie, notre politique à l’égard des indigènes pourrait être contrariée, si nous n’y veillions, par une sorte de fanatisme atavique.

En tout cas, persuadons-nous qu’il n’est pas au monde une seule colonie, non pas, bien entendu, d’exploitation, mais de peuplement, où l’élément européen soit en si faible proportion : en 1906, 87 à 88 indigènes en face de 12 à 13 Européens : ce rapport n’a pas dû changer sensiblement, s’il ne s’est accusé en faveur des indigènes, car ceux-ci sont encore plus prolifiques que les Espagnols et Italiens, venus faire souche dans le pays : aussi voit-on, tout de suite, le péril, si des luttes s’établissaient entre ces deux groupements composés l’un de néo-Français, auxquels se joindraient par la force même des sentiments les étrangers,

  1. V. Demontès, le Peuple algérien. Essai de démographie algérienne. Alger, 1906.