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matin pour m’annoncer qu’il ne veut pas porter plus longtemps la responsabilité du pouvoir et qu’il a offert à l’Empereur sa démission de la présidence du Conseil. Vous comprenez si j’ai le droit d’être inquiet !

— Somme toute, dis-je, la crise actuelle se dessine de plus en plus comme un conflit entre l’Empereur et les défenseurs naturels, attitrés de l’autocratisme. Si l’Empereur ne cède pas, vous pensez que nous reverrons la tragédie de Paul Ier ?

— Je le crains.

— Mais les partis de gauche, quelle sera leur attitude ?

— Les partis de gauche, j’entends ceux de la Douma, resteront vraisemblablement étrangers au drame ; ils savent que la suite des événements ne peut que tourner à leur profit et ils attendront. Quant aux masses populaires, c’est autre chose.

— Prévoyez-vous déjà leur entrée en scène ?

— Je ne crois pas que les incidents de la politique courante ou même un drame de palais puissent suffire à soulever le peuple. Mais le soulèvement sera immédiat, s’il y a désastre militaire ou crise de famine.

J’expose alors à Kokovtsow que j’ai l’intention de demander une audience à l’Empereur :

— Je ne pourrai lui parler officiellement que des affaires diplomatiques et militaires. Mais, pour peu que je le sente en confiance, j’essaierai de l’amener sur le terrain de la politique intérieure.

— De grâce, n’hésitez pas à tout lui dire !

— S’il consent à m’écouter, je marcherai à fond. S’il se dérobe, je me bornerai à lui faire comprendre combien je suis inquiet de tout ce qui se passe et que je n’ai pas le droit de lui dire.

— Vous avez peut-être raison. Dans la disposition où est l’Empereur, il ne faut l’aborder qu’avec prudence ; mais, comme je sais qu’il a de l’amitié pour vous, je ne serais pas surpris qu’il se laissât aller devant vous à un peu d’expansion.

Depuis que le grand-duc Dimitry est aux arrêts dans son palais de la Perspective Newsky, ses amis ne sont pas sans inquiétude pour sa sûreté personnelle. Sur la foi de renseignements dont j’ignore la provenance, ils craignent que le ministre de l’Intérieur, Protopopow, n’ait résolu de le faire assassiner par un des policiers préposés à sa garde. La machination, ourdie