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Elles se racontent que Raspoutine a été jeté vivant dans la Newka et elles approuvent, en citant le proverbe ! Sabakyé, sabâtchya smerte ! « A chien, mort de chien !... »

Autre racontar populaire : « Raspoutine respirait encore, quand on l’a jeté sous la glace de la Newka. C’est très important ; car, de la sorte, il ne deviendra jamais un saint... » C’est en effet une croyance, dans le peuple russe, que les noyés ne peuvent pas être canonisés.



Mercredi, 3 janvier.

Aussitôt retiré de la Newka, le corps de Raspoutine a été mystérieusement conduit ë l’Asile des Vétérans de Tchesma, situé à cinq kilomètres en dehors de Pétrograd, sur la route de Tsarskoïé-Sélo.

Après que le professeur Kossorotow eut procédé à l’examen du cadavre et relevé les traces des blessures, on introduisit dans la salle d’autopsie la sœur Akilina, cette jeune religieuse que Raspoutine a connue jadis au couvent d’Okhtaï où il l’exorcisa. Munie d’un ordre de l’Impératrice, elle a procédé, seule avec un infirmier, aux soins de la toilette funèbre. En dehors d’elle, personne n’a été admis auprès du mort : sa femme, ses filles, ses plus ferventes dévotes ont vainement imploré l’autorisation de le voir une dernière fois.

La pieuse Akilina, l’ancienne démoniaque, a passé la moitié de la nuit à laver le corps, embaumer ses plaies, l’habiller de vêtements neufs et le disposer dans le cercueil. Pour finir, elle lui a mis sur la poitrine un crucifix et lui a inséré entre les mains une lettre de l’Impératrice. Voici le texte de cette lettre, tel que je le tiens de Mme T... qui était l’amie du staretz et qui est fort liée avec la sœur Akilina :

Mon cher martyr, donne-moi ta bénédiction, afin qu’elle me suive constamment sur le chemin douloureux qui me reste à parcourir ici-bas. Et souviens-toi de nous, là-haut, dans tes saintes prières !

ALEXANDRA.


Le lendemain matin, qui était hier, l’Impératrice et Mme Wyroubow sont venues prier sur la dépouille de leur ami, qu’elles ont couverte de fleurs, d’icônes et de lamentations.