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En revanche, la faveur de Protopopow est au comble. Il s’est donné à lui-même une mission dans les provinces, à la fois pour esquiver tout contact avec la Douma et pour prêcher aux gouverneurs la bonne doctrine.

Un de mes amis, qui est venu me voir hier et qui arrivait de Moscou, m’a rapporté qu’on y est exaspéré contre l’Impératrice. Dans les salons, dans les magasins, dans les cafés, on déclare ouvertement que la Niemka, « l’Allemande, » est en train de perdre la Russie et qu’il faut l’enfermer comme folle. Quant à l’Empereur, on ne se gêne pas pour dire qu’il ferait bien de méditer sur le sort de Paul Ier.



Lundi, 25 décembre.

Ainsi que Pokrowsky me l’avait annoncé le 16 de ce mois, l’Empereur adresse aujourd’hui un manifeste à ses armées de terre et de mer pour leur apprendre que l’Allemagne propose la paix et pour leur affirmer une fois de plus sa résolution de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire complète.

L’heure de la paix, dit-il, n’est pas encore venue. L’ennemi n’est pas encore chassé des territoires occupés. La Russie n’a pas encore accompli les devoirs que cette guerre lui a créés, c’est-à-dire la possession de Constantinople et des Détroits, ainsi que la restauration de la libre Pologne, composée de ses trois parties.

La péroraison est d’un accent pathétique et personnel, qui tranche avec la banalité incolore de cette sorte de documents :

Nous resterons inébranlables dans notre confiance en la victoire. Dieu bénira nos armes : il les couvrira d’une gloire éternelle et nous donnera une paix digne de vos exploits glorieux, ô mes glorieuses troupes, une paix telle que les générations futures béniront votre sainte mémoire !

Ce noble et courageux langage ne peut manquer de retentir dans la conscience nationale. Il me laisse pourtant une impression d’inquiétude. L’Empereur est trop judicieux pour ne pas se rendre compte que le désastre roumain lui a enlevé toute chance d’acquérir Constantinople et que son peuple a renoncé, depuis longtemps, au rêve byzantin. Alors, pourquoi cette invocation solennelle d’un projet dont il connaît mieux que personne la vanité ? En parlant ainsi, a-t-il voulu réagir contre le mouvement de désaffection qui s’accentue à son égard, parmi