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Le choix est imprévu. Pokrowsky, qui a soixante ans, s’est adonné toute sa vie aux questions de finances et de comptabilité publiques : il n’a aucune notion des problèmes extérieurs et de la diplomatie ; mais, sous cette réserve, qui est d’importance à l’heure actuelle, je ne me plains pas de sa désignation. D’abord, c’est un esprit sage, fin et laborieux, tout acquis aux idées de l’Alliance. Puis l’homme privé est d’une qualité rare, cordial et modeste, avec une pointe de malice souriante. Dénué de fortune, chargé de famille, il mène la vie la plus simple, la plus honorable. Depuis trente-cinq ans qu’il participe à l’administration financière de l’Empire, jamais l’ombre d’un soupçon ne l’a même effleuré.



Vendredi, 15 décembre.

Inaugurant ses fonctions, Pokrowsky a prononcé aujourd’hui devant la Douma une allocution, du ton le plus ferme, pour démontrer le caractère illusoire et insidieux de la proposition allemande : « Les Puissances de l’Entente, a-t-il dit, proclament leur inébranlable volonté de poursuivre la guerre jusqu’au triomphe final. Nos sacrifices innombrables seraient anéantis par une paix prématurée, avec un adversaire qui est épuisé, mais non encore abattu. »

Ces paroles, qui contrastent si heureusement avec le langage équivoque et cauteleux de Sturmer, ont produit une forte impression à la Douma ; il importait qu’elles fussent prononcées pour détruire l’effet de l’initiative allemande.

Obligé de garder encore le lit, les visites ne m’ont pas manqué. De toutes parts, m’est venue la même note : « C’est déjà un résultat très important que la question de la paix soit désormais posée devant les opinions publiques ! Les esprits se préparent ainsi peu à peu aux solutions raisonnables. »



Samedi, 16 décembre.

Pokrowsky vient me voir cet après-midi.

Je le félicite des déclarations si fermes et si franches qu’il a fait entendre hier à la Douma.

— Je me suis strictement conformé, répond-il, aux ordres de Sa Majesté l’Empereur, avec qui j’ai le bonheur de me trouver en parfaite communion d’idées. Sa Majesté est résolue à