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comme si Trépow avait exhumé une vieille utopie, caressée jadis et depuis longtemps oubliée.

Voilà plusieurs mois déjà que j’observe dans l’âme nationale cet effacement progressif du rêve byzantin. Le charme est rompu.

Se détacher de ses rêves ; se déprendre de ce qu’on a poursuivi, convoité, avec le plus d’ardeur ; savourer même une sorte de joie amère et corrosive à constater sa déception et son désenchantement, — comme c’est russe !

Mme P... me dit ce soir :

— La déclaration du Gouvernement est absurde. Personne ne pense plus à Constantinople. Ç’a été une belle folie, mais une folie. Et lorsqu’on est guéri d’une folie, on ne la recommence pas ; on en fait une autre... Trépow et tous ceux qui essaient de ranimer dans le peuple russe le rêve de Constantinople, me font penser à ces hommes qui croient réveiller l’amour d’une femme, en lui proposant de revivre leurs souvenirs d’autrefois. Ils ont beau lui rappeler comme c’était charmant à Venise, la nuit, au clair de lune, en gondole : on ne les écoute même pas... Quand c’est fini, c’est fini.



Jeudi, 7 décembre.

Les Austro-Allemands et les Bulgares sont entrés hier à Bucarest.

Les Roumains paient cher leurs erreurs initiales. Il ne fallait être cependant ni grand stratège, ni grand prophète, pour prévoir que la catastrophe actuelle était impliquée dans le désaveu de la convention Rudéanu !

La virtuosité stratégique de Hindenburg a réalisé son chef-d’œuvre. Si l’impérialisme allemand a toujours comme objectif principal l’hégémonie de l’Orient, il a désormais tous les atouts dans son jeu...



Samedi, 9 décembre.

Le cri d’alarme que le comte Bobrinsky et Pourichkiéwitch, ces deux champions du tsarisme intégral, ont fait entendre naguère à la Douma, a retenti jusque dans l’archaïque citadelle de l’absolutisme monarchique, le Conseil de l’Empire [1].

  1. Le Conseil de l’Empire est formé de 192 membres, dont la moitié est désignée directement par l’Empereur et dont l’autre moitié est élue par le clergé, les assemblées provinciales, la noblesse, les grands propriétaires, les chambres de commerce et les universités.