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— L’heure est décisive pour la Russie. Du train où nous allons, le parti allemand serait bientôt le maître. Et alors, c’est la catastrophe, la révolution, la honte !... Il faut mettre fin à toutes ces intrigues, et radicalement !... Il faut que le Gouvernement prononce des paroles irrévocables et qui engagent tous les Gouvernements futurs, à la face de la Russie, à la face du monde... Après-demain, à la Douma, le Gouvernement s’engagera irrémissiblement à poursuivre la guerre jusqu’à l’écrasement de l’Allemagne ; il coupera tous les ponts derrière lui.

— Que cela me fait du bien de vous entendre !



Vendredi, 1er décembre.

Sturmer est tellement mortifié de sa disgrâce qu’il a quitté le ministère des Affaires étrangères sans prendre congé des ambassadeurs alliés, sans même leur déposer une carte. Incorrection significative, chez un homme aussi traditionnel et cérémonieux.

Cet après-midi, passant en auto le long de la Moïka, devant les écuries de la Cour, je l’aperçois, à pied, marchant avec peine contre le vent et la neige, le dos courbé, le regard fixé à terre, le visage sinistre et ravagé. Il ne me voit pas, il ne voit rien. En descendant du trottoir pour traverser le quai, il manque de tomber !



Samedi, 2 décembre.

J’assiste, cet après-midi, à la séance de la Douma.

Dès que les ministres apparaissent à l’entrée de la salle et qu’on reconnaît dans leurs rangs Protopopow, le tumulte éclate.

Trépow monte à la tribune pour lire la déclaration du Gouvernement. Les cris redoublent : « A bas les ministres ! A bas Protopopow ! »

Très calme, le regard direct et hautain, Trépow commence sa lecture. A trois reprises, les clameurs de l’extrême-gauche l’obligent à quitter la tribune. On le laisse enfin parler.

La déclaration est bien telle qu’il me l’avait exposée avant-hier.

Le paragraphe dans lequel le Gouvernement affirme sa résolution de poursuivre la guerre est applaudi avec chaleur.