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Au point de vue de la guerre, qui doit primer toute autre considération, le choix de Trépow m’apporte un grand soulagement. D’abord, Trépow a le mérite de détester l’Allemagne. Sa présence à la tête du Gouvernement nous garantit donc que l’Alliance sera loyalement pratiquée et que les intrigues germaniques ne s’exerceront plus aussi librement. Il est, en outre, énergique, intelligent et méthodique ; son action sur les divers services publics ne peut qu’être excellente.

Autre nouvelle : le général Alexéïew prend un congé. L’intérim de ses fonctions sera exercé par le général Wassily Gourko, fils du feld-maréchal, qui fut le héros des Balkans.

La retraite du général Alexéïew est motivée par sa santé. Il est exact que le général souffre d’une affection interne, qui l’obligera à subir prochainement une opération ; mais il y a, de plus, un motif politique : l’Empereur a jugé que son chef d’état-major général avait pris trop ouvertement parti contre Sturmer et Protopopow.

Le général Alexéïew reviendra-t-il à la Stavka ? Je l’ignore. Si son départ est définitif, je m’y résignerai volontiers. Certes, il s’imposait à l’estime de tous par son patriotisme, son énergie, sa scrupuleuse probité, sa rare puissance de travail. Malheureusement, d’autres qualités, non moins nécessaires, lui manquaient : je veux dire l’ampleur des vues, la conception supérieure de l’Alliance, la vision intégrale et synthétique de tous les théâtres d’opération. Il s’est exclusivement confiné dans sa fonction de chef d’État-major général du Commandement suprême des armées russes. A la vérité, c’est l’Empereur qui aurait dû assumer le rôle éminent dont le général Alexéïew n’a pas suffisamment compris l’importance ; mais l’Empereur l’a compris moins encore, surtout depuis le jour où les intérêts généraux de l’Alliance ont eu pour unique interprète auprès de lui, Sturmer.

Le général Gourko, qui lui succède, est actif, brillant et d’esprit ouvert ; mais on le dit léger et sans autorité.


Ce soir ; je dîne au Café de Paris avec quelques amis. La disgrâce de Sturmer est commentée avec joie par tous les convives ; on fonde sur Trépow de grandes espérances, on escompte déjà un vif et prochain réveil de la conscience nationale. Seul, B... se tait. On l’interroge. Il répond par ses sarcasmes habituels :