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courant de libéralisme qui menaçait d’entraîner la Russie. Le fantôme répondit :

Tu dois, coûte que coûte, écraser la Révolution qui commence ; mais elle renaîtra un jour et sera d’autant plus violente que la répression d’aujourd’hui aura dû être plus rigoureuse. N’importe ! Courage, mon fils ! Ne cesse pas de lutter !

Tandis que les souverains méditaient avec stupeur cette prédiction accablante, Papus affirma que son pouvoir magique lui permettait de conjurer la catastrophe prédite, mais que l’efficience de sa conjuration cesserait aussitôt que lui-même ne serait plus « sur le plan physique. » Puis, solennellement, il exécuta les rites conjuratoires.

Or, depuis le 26 octobre dernier, le mage Papus n’est plus « sur le plan physique ; » l’efficience de sa conjuration est abolie. Donc, la Révolution est proche...

Après avoir quitté Mme R…, je rentre à l’ambassade et j’ouvre mon Odyssée, au XIe chant, à l’épisode fameux de la Nékuia. Sous l’influence du récit que je viens d’entendre, cette magnifique scène d’humanité primitive, cette fantasmagorie ténébreuse et barbare m’apparaît aussi naturelle, aussi vraie, que si elle s’était passée hier. Je vois Ulysse dans le pays brumeux des Cimmériens, offrant le sacrifice aux morts, creusant la terre avec son épée, versant des libations de vin et de lait, puis égorgeant au bord de la fosse un bélier noir. Et la foule des ombres, surgissant de l’Érèbe, se précipite pour boire le sang qui ruisselle. Mais le roi d’Ithaque les repousse violemment ; car la seule âme qu’il ait souci de voir paraître est celle de sa mère, la vénérable Anticlée, afin qu’elle lui découvre l’avenir par l’entremise du devin Tirésias... Et je songe que, d’Ulysse à Nicolas II, du devin Tirésias au mage Papus, il ne s’est écoulé que trente siècles.



Lundi, 20 novembre.

Hier, les Serbes se sont emparés de Monastir ; c’était l’anniversaire de leur entrée dans la ville en 1912.

L’empereur François-Joseph est à l’agonie.



Mardi, 21 novembre.

Sturmer est parti subitement, hier soir, pour Mohilew, appelé par le Tsar.