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attention ; mais elle a consterné, me dit-on, les personnes qui ont jadis connu le « Maître spirituel, » comme ses disciples enthousiastes le nommaient entre eux.

Mme R..., qui est à la fois une adepte du spiritisme et une dévote de Raspoutine, m’explique cette consternation par une prophétie étrange, qui vaut d’être notée : la mort de Papus ne présagerait rien moins que la ruine prochaine du tsarisme. Et voici comment.

Au début d’octobre 1905, Papus fut mandé à Saint-Pétersbourg par quelques-uns de ses fidèles, haut placés, qui avaient grand besoin de ses lumières dans la crise redoutable que la Russie traversait alors. Les désastres de Mandchourie avaient provoqué, sur tous les points de l’Empire, des troubles révolutionnaires, des grèves sanglantes, des scènes de pillage, de massacre et d’incendie. L’Empereur vivait dans une anxiété cruelle, ne pouvant se résoudre à choisir entre les avis contradictoires et passionnés, dont sa famille, ses ministres, ses dignitaires, ses généraux, toute sa cour le harcelaient quotidiennement. Les uns lui démontraient qu’il n’avait pas le droit de renoncer à l’autocratisme ancestral et l’exhortaient à ne pas faiblir devant les rigueurs nécessaires d’une implacable réaction ; les autres l’adjuraient de faire la part aux exigences des temps modernes et d’inaugurer loyalement le régime constitutionnel.

Le jour même où Papus débarquait à Saint-Pétersbourg, une émeute répandait la terreur à Moscou, tandis qu’un syndicat mystérieux proclamait la grève générale des chemins de fer.

Le mage fut immédiatement appelé à Tsarskoïé-Sélo. Après une conversation rapide avec l’Empereur et l’Impératrice, il organisa pour le lendemain un grand rituel d’incantation et de nécromancie. En dehors des souverains, une seule personne assistait à cette liturgie secrète, un jeune aide de camp de Sa Majesté, le capitaine Mandryka, qui est aujourd’hui général-major et gouverneur de Tiflis. Par une condensation intense de sa volonté, par une exaltation prodigieuse de son dynamisme fluidique, le « Maître spirituel » réussit à évoquer le fantôme du très pieux tsar Alexandre III ; des signes indubitables attestèrent la présence du spectre invisible.

Malgré l’angoisse qui lui étreignait le cœur, Nicolas II demanda posément à son père s’il devait ou non réagir contre le