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comprendre à la politique de son Gouvernement, qui parle toujours de l’entente franco-britannique comme de l’assise fondamentale de l’ordre européen, mais qui, même quand la France a raison, hésite à le reconnaître et traite avec désinvolture ses propositions. Un accord immédiat et sincère avec la France est, pour M. Stead, la condition essentielle du succès pour la Conférence de Gênes. Mais, même dans quelques journaux connus pour leur impartialité ou leurs sympathies françaises, on sent percer certaines inquiétudes dont le sens et la portée s’éclairent quand on lit les organes radicaux qui mènent depuis longtemps campagne acharnée contre la France et les traités. La note de M. Poincaré les a troublés : l’Europe continentale aurait-elle trouvé un guide ? Pour le Manchester Guardian, que dirige M. Keynes, M. Poincaré veut « capturer la Conférence de Gênes » et la mettre au service de la politique française d’hégémonie continentale. M. Benès, qui vient précisément de s’arrêter à Paris et qui est à Londres à l’heure où nous écrivons, s’est laissé prendre au piège. M. Poincaré a proposé qu’aux réunions d’experts qui prépareront le programme de la Conférence, fussent invités ceux de la Petite-Entente et de la Pologne dont les pays, voisins de la Russie ou de l’Allemagne, sont intéressés, au premier chef, à l’ordre continental ; il n’en a pas fallu davantage pour alarmer M. Keynes et ses amis et leur faire entrevoir la France paraissant à Gênes avec un cortège de nations jeunes et vigoureuses. Le Daily Telegraph soupçonne M. Poincaré de vouloir assurer à la France l’hégémonie politique et militaire de l’Europe danubienne. Les Français sont des « naufrageurs ; » sous prétexte d’ajournement et de conditions préalables, ils se préparent à couler à fond la Conférence, et le Guardian en prend texte pour attaquer lord Grey, qui a eu l’imprudence de les encourager et qui leur a fourni « les armes les plus spécieuses et les plus dangereuses contre la Conférence de Gênes. » Il a suffi que M. Poincaré posât la question des rapports de la Conférence de Gênes avec la Société des Nations et réservât les droits de cette dernière pour que le même Manchester Guardian s’enflammât contre la Société dont il était, naguère, un si chaud défenseur. Le journal de M. Keynes a évidemment aperçu la haute portée de la réserve introduite dans la note française ; il n’est pas indifférent que les plans de reconstruction de l’Europe centrale, — tels le projet Ter Meulen pour l’Autriche, — soient organisés sous le contrôle de la Société des Nations où toutes les Puissances qui ont adhéré au pacte pourraient faire valoir leurs raisons et où l’unanimité des voix serait nécessaire pour les décisions importantes, ou au contraire abandonnés à des financiers