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vulgairement de n’en plus jeter : l’on ne sait plus que faire de tant de richesses gaspillées. Une fois, sous le nom de Simon le pathétique, ne se moque-t-il pas de son extravagance ? Une petite Luce est un peu effarée : Simon lui conte des histoires, pour la distraire de son émoi, les histoires de tous les animaux qui peuplent les pays étranges, lions et panthères, lynx et guépards. « Je convoquai aussi les mangoustes, les onces. Elle souriait, par ce fourmillement de petits êtres muets attendrie. Notre coupé... » c’est en chemin de fer... « eût été ainsi peu à peu surpeuplé le premier jour du monde, car moi je n’eusse pas su m’arrêter à temps. » Elle s’endort : « J’avais oublié de lui parler du carcajou, de l’ocelot. Mais je ne la réveillai pas. » C’est vrai, que M. Giraudoux ne sait pas s’arrêter à temps et que parfois on imiterait Luce, amusée d’abord, et puis lasse.

M. Giraudoux ne se moque-t-il pas de lui-même et de son procédé ou de sa rhétorique ? Le voici dans sa ville natale, ému de souvenirs et sur le point de s’écrier : « O Châteauroux... O tilleuls sur lesquels sont gravés les premiers prénoms que j’ai entendus... » Il avertit son lecteur : « Vous qui me lisez, prenez garde. Vous savez ce qui arrive, quand je débute ainsi par petites phrases. Vous savez qu’en moi s’agite ce vocatif que mes maîtres de grec m’ont transmis et qui vit en moi comme un asthme, et que le moment n’est pas loin où je vais adresser la parole à un arbre même, à un passant, à une ville... » Or, il assure qu’il se contient. Mais la gaieté verbale est en définitive la plus forte : « Ma ville retrouvée va s’évanouir. De la grande terrasse, je la surveille, et je surveille aussi, avec cette fin de journée, toute dorée, mais confuse de sa mort, palpitante (je ne dirai pas si tous ces adjectifs s’adressent à journée ou à jeunesse), ma jeunesse. » Badinage ! et c’est afin de réunir une jeunesse et une journée qui ont l’air de mourir ensemble... Une fillette vend des fruits : « La voilà qui me pèse des cerises, sans se douter qu’elle me revend, si fraiche et propre et si vernie (je ne dirai pas si ces adjectifs s’appliquent à jeune fille ou à enfance), mon enfance... » La seconde fois, le jeu de syntaxe est moins drôle, est un peu insignifiant.

Badinage de lettré malin, ses gambades ! M. Giraudoux rachète plusieurs de ses torts en aimant son art, quitte à l’aimer d’une façon qui n’est pas la plus raisonnable ; et, puisque la littérature est l’art des mots, il aime les mots. Il les choisit à cause de leur son, de leur mesure, et à cause de ce qu’ils contiennent de rêverie ancienne ou récente. Il a dit : « Lorsqu’on regarde fixement les mots les plus communs, ils se désagrègent, deviennent méconnaissables, reprennent