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de Munich : « Mille petits bassets trottinent pai-les rues asphaltées avec des pattes si courtes que leur ombre reste tout le jour juste au-dessous d’eux, comme un tapis. » A l’hôpital, pendant la guerre, un blessé, qui écrit à son ami, songe à cet ami ; l’infirmière le divertit de sa pensée : « Dès que miss Daniels était là, les mots ne me venaient plus, comme les teintes à celui qui peint entre deux lampes. » Au petit jour, on ouvre les volets ; miss Daniels éteint les lampes électriques : « Chaque commutateur craque comme si elle écrasait un gros insecte lumineux. » Des années passées, retour au pays natal, qui n’a point bougé, qui garde son aspect, sa coutume : « Seul, l’horloger a changé de trottoir ; et cela me gêne un peu, comme un bracelet-montre attaché au mauvais bras. » Le pathétique enfant Simon, dans sa petite ville provinciale, aimait à grimper au beffroi : « Venait la nuit. En vain j’attendais que le beffroi devînt phare : à peine s’allumait une lampe à la porte d’entrée. Je redescendais dans l’ombre, étreignant la corde de la rampe qu’au seuil je lâchais, laissant aller ma tour comme un ballon. » Suzanne vient de s’embarquer : « Maintenant nous partions. Le bateau, comme dernière ancre, redonnait à la terre la femme du commandant, et il tournait par petits coups comme un cheval qu’on selle. » Pendant la traversée : « Parfois, tous les passagers se précipitaient vers un bord ; c’est qu’un petit bateau noir, comme un rat dans un télescope, s’était logé entre le soleil couchant et nous. » Suite de la traversée : « Pendant deux jours, l’Afrique avança quelques îles sur la mer, comme un enjeu, des Canaries, des îles Vertes... » Que tout cela est ingénieux ! Trop ingénieux ? Quelquefois. Toutes ces trouvailles ne sont pas de la même valeur. Il y en a de plaisantes, il y en a de charmantes, il y en a de saugrenues : il y en a plus qu’il n’en faudrait. A vrai dire, mon résumé les entasse ; à vrai dire aussi, elles n’y sont pas beaucoup plus entassées que dans certaines pages de Suzanne et le pacifique, où les comme de la similitude reviennent à chaque instant.

C’est un procédé ? Je dirais plus volontiers, si le mot ne semblait offensant, que c’est une manie : je tâcherais de marquer ainsi que le procédé de M. Giraudoux a quelque chose de naïf et dérive de son esprit médiéval, au sens que j’ai donné à ce mot. D’ailleurs, cette manie est, en meilleurs termes, le génie même de l’image, trésor de toute poésie.

M. Giraudoux, que son étonnante et précieuse manie amuse, a souvent le tort de s’y abandonner. Il dépense tout son trésor ; et sa prodigalité, qui ne le fatigue pas, fatigue son lecteur. On le supplierait