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« qui se remplissent aussitôt, par on ne sait quelle loi des vases communicants, de sang, ou de sève, de résine, de liquides premiers... » Le « faible Bernard, » de L’école des indifférents, « éveillait sa pensée avec des ruses parentes de celles qu’il employait pour exciter sa mémoire. » C’est que la mémoire suggère à l’esprit les analogies : ; et des analogies naissent métaphores et images, symboles et allégories : la perception des analogies et la pensée se confondent, pour le faible Bernard, ainsi que pour un poète ou un philosophe du moyen âge.

Mais on dira que j’abuse de ces petites phrases, où du reste M. Giraudoux indique le caractère de ses personnages divers.

Ils ne sont pas très divers ; ils ont ensemble assez de parenté pour qu’en leur empruntant quelques traits, l’on ait bientôt les principaux éléments d’un personnage qui penserait et qui écrirait exactement comme fait M. Giraudoux.

Comment écrit M. Giraudoux ? Il note des analogies et des senefiances. Une jeune fille de Bellac, Suzanne, visite Paris, avant de partir pour un grand voyage d’outre-mer : « Par le grand pont où le péage est perçu, politesse suprême de Paris, par un aveugle, nous traversions la Seine en jetant à droite un coup d’œil à Notre-Dame, à la royauté, à gauche au Trocadéro, à la République ; nous longions vers la Concorde la balustrade des Tuileries tendue contre le jardin comme le mètre-type de toutes les promenades, avec ses balustres comme des centimètres... Moi qui ne connaissais pas Paris, je regardais sans ardeur et dignement, ainsi qu’il sied pour un point de départ, cette ville qui à tous les êtres est le point d’arrivée, et où les gens de l’univers, lâchant enfin leurs valises, comme les sauteurs dans les cirques, se sentent pour la première fois libres et bondissants. La pudeur qui écarte les jeunes gens des grands hommes m’écartait, moi, des monuments célèbres. Cet Arc de Triomphe que les Américains mettent sur leurs âmes comme un binocle à voir la France, je m’en détournais, j’aimais ma myopie. Cet Arc du Carrousel, abandonné debout comme un palanquin dans le désert, je laissais les Suédois et Danois chercher autour de lui les ossements de l’animal qui l’avait apporté, puis qui était mort là... » Etc., etc., etc. Les métaphores suivent les métaphores ; et tout le roman de Suzanne et le Pacifique est un assemblage de métaphores, une mosaïque de senefiances.

Je disais que l’esprit de métaphore, au moyen âge, avait produit une espèce de dualisme de la pensée. Or, Suzanne dit que, dès l’adolescence,