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Créateur ; ils se croyaient, en présence de la création, comme placés devant une allégorie ou, si le mot n’était fort laid, devant un subtil et immense rébus offert à notre sagace rêverie et qu’il s’agit de déchiffrer. Leur histoire naturelle, consignée dans les bestiaires et divers livres de ce genre, le prouve : les caractères physiques et les mœurs des animaux sont les signes de vérités surnaturelles. Toutes choses créées par Dieu ou même fabriquées par les hommes, les objets et les événements demandent et reçoivent une interprétation, qui nous paraît un jeu, qui leur paraît l’intelligence fidèle de la vérité. C’est ainsi que leur littérature, ou mondaine ou dogmatique, foisonne de ce qu’ils appelaient « senefiances » et que nous appelons images, symboles ou allégories ; mais leur mot de « senefiance » indique leur crédulité à des significations réelles et authentiques. En somme, ils n’ajoutaient pas à l’idée l’ornement d’une allégorie : leur espoir était de découvrir la vérité en traduisant l’allégorie.

Conséquemment, il se forma, au moyen âge, une espèce de dualité mentale. Tandis que nos raisonnements suivent, en quelque sorte, une ligne simple, la pensée du moyen âge est double et se déroule sur deux lignes parallèles, ligne des images et ligne de l’interprétation, l’une et l’autre liées ou coordonnées dans la réalité de la « senefiance » et d’une façon que l’esprit parcourt ensemble l’une et l’autre.

Cela est difficile à exposer ; je crains de ne l’avoir pas fait à merveille. Et je crains de n’être pas clair, en disant que les ouvrages de M. Giraudoux révèlent un esprit du moyen âge.

Il semble si moderne ; et, à certains égards, il est si moderne ! Voire, il a certains défauts tout récents, les défauts de la dernière mode. On le prendrait assez bien pour un impressionniste.

Mais relisons ce que dit Jacques, dans L’école des indifférents : « J’avais pour le monde entier la tendresse et l’indulgence qu’inspirent les allégories. » Jacques dit encore : « De grandes ressemblances balafrent le monde et le marquent ici et là de leur lumière. Elles rapprochent, elles assortissent ce qui est petit et ce qui est immense. » Un autre personnage de M. Giraudoux, Simon le pathétique, raconte ses années de collège et se souvient de ses camarades : « Ceux qui avec moi discutaient acceptèrent en réponse mes arguments somptueux, mes comparaisons parfois un peu éclatantes ; pêcheurs mesquins et minutieux, ils se mirent à respecter mes filets à si larges mailles. C’est moi qui dus combattre ma tendance à parler par métaphores, par paraboles, par prophéties, la grammaire et la poétique des apôtres... » Ailleurs, M. Giraudoux parle de ces comparaisons