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du jeune médecin qui nous sert de guide. « Rien, dit-il, n’était moins propre que cette maison à accueillir nos malades : heureusement, ils ont l’air, le soleil, et la vue si reposante de la mer. »

Dans la cour centrale, qu’entoure un large cloître, les fous les moins gravement atteints se promènent en liberté, d’autres sont assis ou étendus au soleil ; tous portent la même robe blanche, ample, commode et propre. On nous montre trois jeunes gens, des officiers, revenus des prisons anglaises de l’Egypte et de l’Inde. « Il y en a d’autres, plus malades, dit le docteur. Je crois qu’ils sont victimes des mauvais traitements qu’ils ont subis. »

Nous faisons le tour des services : malades organiques, nerveux, agités, malades atteints de folie religieuse. J’ai visité quelquefois en Europe des maisons analogues. Ce qui me frappe ici, c’est encore, toujours, comme partout en pays musulman, une certaine résignation empreinte de douceur et de calme. Au cours de ma triste promenade, j’observe de mornes contemplations, de profonds avilissements ; je ne rencontre pas d’affreux désespoirs.

Les femmes, moins silencieuses que les hommes à notre passage, s’approchent, interpellent le médecin, qui parle avec elles et semble les consoler. Le fatidique « Inchallah ! » (plaise à Dieu ! ) répond le plus souvent à ses paroles de réconfort. Rien de plus émouvant que le soin affectueux, presque pieux avec lequel ce jeune homme au regard fier, aux traits énergiques et même un peu durs, ramène une robe sur l’épaule nue d’une pauvre malade, touche en passant la main que cette autre lui tend, arrête d’un mot sur les lèvres d’une troisième l’éternelle chanson qu’elle s’épuise à redire. Il nous parle longuement, avec simplicité, des cas singuliers qu’il étudie, des méthodes qu’il expérimente, des améliorations qu’il voudrait introduire, de l’argent qui manque...

La visite se prolongea, et l’or du soleil couchant baignait les kiosques et les jardins du Vieux Sérail, lorsque nous redescendîmes vers la mer. Comme nous restions là, en silence, à attendre le bateau : « Eh bien ! me dit mon compagnon, qu’en pensez-vous ? — Je pense, ai-je répondu, qu’on n’a pas le droit de traiter de barbare, et moins encore d’exclure de la société civilisée, un peuple qui entoure d’une telle sollicitude ses orphelins, ses pauvres et ses déshérités. »


MAURICE PERNOT.