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ne retourneront pas à leurs champs : beaucoup feront des ouvriers, quelques-uns pensent à devenir commerçants, d’autres veulent être soldats, et ces derniers m’entraînent devant un portrait de Moustapha Kemal, — une simple carte postale, — qu’ils ont entouré d’une guirlande de fleurs. Les filles, qui auront appris le métier de lingère, de blanchisseuse, de tricoteuse, se marieront ; plusieurs orphelines ont épousé des orphelins de la colonie, et quelques-uns de ces ménages, plutôt que de quitter la maison qui les abrita, y gouvernent aujourd’hui une famille de ces petits, dont ils sauront, mieux que d’autres, plaindre et adoucir l’infortune, l’ayant eux-mêmes éprouvée.

L’Hôpital Général de Stamboul situé non loin de Koum Kapou, est installé dans une belle maison bâtie à la mode ancienne : quatre corps de logis entourent un beau jardin. L’hôpital fut construit et doté par la mère d’Abdul-Aziz ; chaque semaine, la sultane y venait elle-même soigner les malades et servir les pauvres. Les services d’hommes, de femmes, d’enfants, sont installés aussi bien que le permettent la disposition des lieux, qui n’est pas entièrement conforme aux exigences de l’hygiène moderne, et des ressources financières très diminuées. Il n’y manque pourtant rien d’essentiel : salles d’opération et de pansement, bains, installation radiographique ; partout de l’air, de la lumière, et une propreté fort édifiante. Les infirmières turques ne portent pas le voile, mais un bonnet qui couvre entièrement leurs cheveux ; elle sont avenantes, douces et adorées de leurs malades. Deux d’entre elles nous accompagnent à la bibliothèque, où elles nous servent le thé. Nous causons avec elles et avec les médecins ; ce qui leur cause le plus de joie, c’est notre étonnement, que nous ne cachons point, de trouver en plein Stamboul un hôpital turc aussi bien tenu et tellement moins morose que la plupart des hôpitaux européens.

C’est encore une sultane, la mère d’Achmed III, qui construisit pour les pauvres de Scutari la majestueuse maison où l’on recueille aujourd’hui les aliénés. Un porche monumental, une gigantesque cuisine, où le jour ne pénètre que par l’ouverture de la haute cheminée en pyramide, de vieux jardins à l’abandon, de petites cours à colonnades séparant des corps de logis sans symétrie, des escaliers grandioses attestent l’unique et noble origine de cette demeure.

Mais ce qui fait notre admiration fait précisément le désespoir