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de ses méthodes scientifiques qu’à la constance et à la générosité de ses efforts pour soulager, sous toutes ses formes, la misère humaine. La science les remplit d’admiration, mais ils éprouvent pour la charité et pour ceux qui l’exercent, comme un respect religieux.

Les peuples musulmans ne font ainsi qu’honorer plus particulièrement chez les autres les vertus qu’ils tiennent eux-mêmes pour les plus hautes et que leur religion exalte entre toutes. On sait que le Coran a introduit le principe de la charité jusque dans la loi. Les nombreuses visites que j’ai faites aux orphelinats, aux hôpitaux et aux asiles musulmans de Constantinople m’ont fait comprendre à quel point cette loi de l’assistance mutuelle est demeurée pour les Turcs impérative, vivante et sacrée.

Dans huit villas impériales, échelonnées sur le bord de la Marmara et sur les deux rives du Bosphore, on a recueilli trois mille cinq cents orphelins musulmans des deux sexes. Ce nombre ne représente guère plus d’un pour cent du total des enfants turcs que la guerre a rendus orphelins : on en compte plus de trois cent mille. J’ai visité, entre Béchiktache et Ortakeui, un de ces orphelinats. Les petits, groupés par familles de quarante, sont confiés aux soins d’un père et d’une mère, qui gouvernent leur vie, président à leurs repas et à leurs jeux, leur font la classe, les mènent à la promenade, à l’atelier, à la prière. Chaque famille est installée dans un pavillon indépendant. La villa donnée par le Sultan aux orphelins en comprend un assez grand nombre : les uns s’alignent au bord de la mer : ce sont les Yalis ; les autres, perchés sur le coteau, se cachent parmi les cèdres et les pins maritimes, ce sont les Kiosques. Kiosques et Yalis gardent quelques restes de leur splendeur ancienne : majestueux escaliers à deux rampes, lambris de faïence et plafonds dorés. Dans les trois .salons du bord de l’eau, quarante petits lits se serrent l’un contre l’autre ; les armoires à linge et à vêtements encombrent les paliers. Les communs ont été transformés en ateliers de menuiserie et de forge. Au flanc de la colline, entre les bosquets, toujours respectés, on a ménagé de petits enclos, où les enfants s’essayent à la culture : chaque famille a son jardin. Ainsi, grâce à ses vieux arbres, aux balustrades de ses terrasses, à l’élégance extérieure de ses maisons de bois, le domaine, à peine transformé.