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une des belles bibliothèques du monde ; les érudits y trouveraient le bénéfice d’un classement général et d’une plus grande commodité de recherche ; les artistes et les flâneurs y perdraient le délicat et rare plaisir de feuilleter quelques beaux livres dans le silence et la fraîcheur d’une petite chapelle, qu’isolent du reste du monde tantôt les arceaux d’un cloitre, tantôt les cyprès d’un vieux jardin.

On lit beaucoup à Stamboul et, fort heureusement, on n’y lit pas seulement des journaux. Un petit libraire-éditeur, très modestement installé, m’a montré dans sa bibliothèque six cents volumes écrits en langue turque ; quatre cents ouvrages de littérature et d’histoire publiés par lui en l’espace de quinze années. J’ai trouvé là, parmi des manuels à l’usage des écoles, une histoire universelle, plusieurs histoires de l’empire ottoman, une histoire des littératures de l’Orient, des anthologies de prosateurs et de poètes, la traduction des meilleurs livres de Faguet, celles de l’ouvrage de Sorel : la Question d’Orient au XVIIIe siècle, et du traité de Payot sur l’Education ; des récits de voyage, des romans, etc.. » A combien d’exemplaires tirez-vous ? ai-je demandé à l’éditeur. — Le plus souvent à trois mille, m’a-t-il répondu. Je ne parle pas des ouvrages scolaires, dont le tirage est beaucoup plus important. J’ai eu aussi quelques ouvrages à succès : une petite Encyclopédie, à l’usage des peuples des campagnes, est allée jusqu’à trente mille. »

Le rédacteur en chef d’un grand quotidien m’a raconté, que, pendant la guerre, Stamboul ne lisait presque plus de journaux ; il y voyait une preuve du peu d’intérêt qu’accordait le peuple turc aux péripéties de la lutte dans laquelle quelques politiciens l’avaient entraîné et dont le caractère national ne lui apparaissait point. Les lettrés profitèrent de cette disposition du public, pour essayer de l’intéresser aux problèmes généraux de la sociologie et de l’économie politique, aux questions d’art et d’histoire. On publia des revues, on fit des conférences : les unes et les autres furent très goûtées. Après l’armistice, l’intérêt pour la politique est redevenu général et même passionné ; le mouvement intellectuel s’est ralenti ; on compte sur la paix pour le ranimer et lui donner une intensité nouvelle.

J’ai trouvé l’Université de Stamboul assez déserte ; la plupart des jeunes gens valides sont aux armées, beaucoup sont allés se battre en Anatolie. L’Université ottomane comprend, comme les